Une soirée en enfer au 4e kilomètre

Insultes, coups, enlèvement, séquestration, humiliation, menaces de mort, sur fond de trafic de drogue : ou comment une vente d’une petite quantité de cannabis ayant mal tourné à Kaméré s’est transformée en un calvaire pour un jeune de 19 ans, qui a fini par se réfugier chez des inconnus, nu (avec un simple imperméable trouvé dehors pour lui couvrir les parties intimes), blessé (nez fracturé, œil gauche si gonflé qu’il ne s’ouvrait plus, etc .), ensanglanté et paniqué, en pleine soirée du 15 mai 2023. Ses bourreaux, âgés d’une vingtaine d’années, ont été jugés mardi à Nouméa.

Comment la victime est-elle encore en vie ? En sortant d’une heure et demie d’audience consacrée à cette affaire sordide comme on en voit rarement au tribunal correctionnel de Nouméa, on se pose la question. Ce jeune homme, absent mardi, absent depuis même près de neuf mois puisque parti en Métropole, est particulièrement solide malgré, en tout cas à l’époque, un physique décrit comme frêle. Car les nombreux coups qu’ils a reçus de la part de ses agresseurs (trois, avant le renfort d’;un quatrième), plus âgés et plus puissants que lui, auraient pu le tuer, ou au moins lui causer des dommages irréversibles au cerveau. Aujourd’hui, rassure son avocate, Philippine Chamoun, « physiquement ça va » mais mentalement « c’est très compliqué », il ressent du « stress », sans parler de la « perte de dignité ». Dans cette histoire, celle d« un gamin de 19 ans qui se trouve là au mauvais endroit, au mauvais moment, c’est un miracle, véritablement un miracle, que monsieur s’en sorte avec aucune séquelle » grave sur le plan physique. « Si monsieur n’avait pas eu la force de s’enfuir, on lui aurait éclaté le crâne… »

« Ça sort d’où, ça, de déshabiller quelqu’un ? »

Cette affaire commence ainsi : trois a mis se rendent en voiture à Kaméré pour y vendre 20 000 francs d’herbe de cannabis à un acheteur, qui les rejoint sur place. Le problème survient au moment de la transaction : l’acheteur arrache des mains des dealers les paquets et s’enfuit en courant. Les vendeurs le poursuivent, sans réussite. Ils attrapent alors le jeune homme qui l’accompagnait ce jour-là, à la nuit tombée. Lui était resté en retrait. Il est directement frappé. On lui demande le nom de celui qui vient de les voler. Il répond qu’il ne le connaît pas. Énervé, le trio se déchaîne sur lui. Il est mis de force dans une voiture, puis emmené ailleurs, dans un endroit dont il ignore tout. Ce serait à Nouméa, au 4e kilomètre, d’où sont originaires les dealers. Pendant le trajet, puis une fois arrivé au lieu de destination, les coups pleuvent, sans discontinuer : coups de poings, coups de pieds (l’un des prévenus portait des chaussures de sécurité…), coups donnés avec une planche en bois… et quasiment toujours en visant le visage. « Les photos sont complètement insoutenables, ça montre la violence des coups qui ont été reçus par cette personne », souligne la présidente du tribunal, qui se tourne vers les trois jeunes hommes dans le box : « ça sort d’où, ça, de déshabiller quelqu’un ? C’est quoi le but ? » L’un des mis en cause répond, timidement : « pour l’humilier ».

Menace ‘enterrement ?

Pendant ce début de soirée d’horreur (environ de 19 h à 20 h), la victime dit avoir entendu à plusieurs reprises ses agresseurs dire qu’ils allaient l’achever. L’enterrer « à la Vierge », sur les hauteurs de Nouméa, aurait été l’une des mauvaises idées avancées. Les prévenus reconnaissent la majorité des faits, mais pas les menaces de mort. Ils contestent aussi le scénario donné par la victime, qui raconte s’être fait passer pour quasi morte avant de sauter sur la première occasion pour s’enfuir, nue. Les mis en cause assurent, au contraire, que ce sont eux qui l’ont laissée partir, car ils venaient d’obtenir le renseignement qu’il cherchait. Après délibération, le tribunal a condamné les trois prévenus à chacun cinq ans de prison ferme, avec mandat de dépôt et interdiction de porter ou détenir une arme durant dix ans. Ils devront se répartir, au total, une somme de 600 000 francs (pour dommages et intérêts) à payer à la victime. La défense de deux des prévenus a interjeté appel au lendemain du jugement.


« Je n’ai pas réfléchi »

Le profil des trois prévenus jugés et condamnés mardi interpelle. Les deux qui étaient présents à l’audience avaient, avant cette semaine, un casier judiciaire vierge. Le troisième, absent au tribunal car apparemment parti en Métropole avec la volonté de s’engager dans l’armée (un mandat d’arrêt a été décerné contre lui à l’issue de l’audience), a lui une seule ligne sur son casier, pour outrage. Alors, comment sont-ils passés, au niveau de la violence, de presque rien à infiniment trop ? A travers les débats mardi, il en ressort que l’effet de groupe a joué un rôle majeur et néfaste. « Ce n’est ni à faire, ni à refaire. J’ai fait ça pour suivre, par solidarité. Avec le recul, oui c’est choquant. Mais sur le moment, je n’ai pas réfléchi », confie l’un des mis en cause. Après les faits, « le soir je ne dormais pas bien. C’est par lâcheté que je ne suis pas venu » voir les autorités. « L’enquête a été fournie, l’enquête a été longue, ça a nécessité beaucoup d’investigations », précise la présidente. Ils ont été interpellés les 30 mai, 31 mai et 6 juin. Au début, ils ont nié, avant d’avouer. Comment auraient-ils pu faire autrement ? L’un des prévenus a filmé trois scènes, durant plusieurs secondes voire minutes, tout en donnant des coups de pied dans la tête de la victime… Les vidéos ont été retrouvées sur son téléphone par les enquêteurs. Pourquoi les avoir gardées ? Il dit avoir oublié de les effacer. L’objectif initial de ces images, « c’était de mettre la pression » sur le complice de la victime, en l’occurrence le voleur de cannabis, disparu dans la nature après son méfait. « J’ai beaucoup réfléchi, beaucoup de remords. Je présente mes excuses à sa famille. Je regrette vraiment ce que j’ai fait, je ne pensais qu’on irait si loin », a dit un prévenu mardi, avec dans son dos une vingtaine de proches de la victime.



Anthony Fillet

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