Rencontre avec… Philippe Blaise

Alors que le Sénat et l’Assemblée examinent les textes relatifs à la Nouvelle-Calédonie et au corps électoral calédonien, nous avons fait le point avec le 1er vice-président de la province Sud, Philippe Blaise.

De nombreux électeurs exclus du droit de vote se sont inscrits en fin d’année dernière sur les listes électorales. Ils ont été déboutés par les Commission Administratives Spéciales, provoquant colère et incompréhension. Que pouvez-vous leur dire ?

Philippe Blaise : Tant que la réforme constitutionnelle n’est pas votée, c’est le régime électoral antérieur qui reste en vigueur. Les gens qui ne remplissent pas les conditions posées par la loi organique, n’ont donc pas pu être inscrits par les Commissions Spéciales. Ces demandes d’inscription étaient une démarche symbolique pour montrer qu’il y a aujourd’hui des milliers de personnes injustement privées de leur droit de vote, alors même que la période d’autodétermination est terminée. Ce résultat, c’est-à-dire la non-inscription, était donc attendu. Cela étant, il ne faut pas se décourager. Tous ces gens qui se sont inscrits ont pu constituer leur dossier, et collecter les pièces qui montrent que le jour où la règle des 10 ans de présence sera mise en place, ils pourront administrer la preuve qu’ils remplissent les conditions. Ce travail n’a donc pas été inutile, loin de là. Maintenant, il faut prendre acte de la décision administrative qui a été prise et se mobiliser pour que, collectivement, on puisse faire passer le dégel du corps électoral. A partir de là, de nouvelles réunions des commissions spéciales seront organisées, et ceux qui remplissent les conditions pourront enfin faire valoir leur droit.

Ce que l’on peut dire du gel du corps électoral, c’est que ça n’était pas une clause de l’accord de Nouméa, qu’il n’était prévu pour durer que jusqu’en 2014 et que personne n’avait imaginé qu’il concernerait autant d’électeurs. Êtes-vous d’accord ?

PB : Nous avons reçu récemment la délégation de la mission parlementaire actuellement en visite en Calédonie, et j’ai tenu à leur faire un rappel historique. J’ai d’abord rappelé que durant les Évènements, deux théories s’affrontaient. Celle des indépendantistes pour lesquels seuls les kanak pouvaient voter, et celle des Loyalistes qui se basaient sur la règle de base de la République Française « un homme une voix ». C’est avec cette règle que nous sommes allés au référendum Pons que les indépendantistes ont boycotté, et tout cela a conduit à Ouvéa qui a provoqué un traumatisme pour les deux camps. Tous ces morts ont été la démonstration que si on ne se parlait pas, ça nous conduirait vers une tragédie. Cette prise de conscience a abouti à la construction de la paix parce que nous nous sommes dit que finalement, les gens qui avaient 10 ans de présence étaient légitimes pour parler de l’avenir du pays. C’est ce qui a débouché sur les accords Matignon-Oudinot qui prévoyaient un référendum en 1998 auxquels pouvaient participer tous ceux qui avaient 10 ans de présence en Calédonie, ils faisaient partie des « populations concernées ». Cette règle s’est imposée dans l’imaginaire politique, dans la conscience collective à la fois ici et dans la classe politique métropolitaine. En 1998, il n’y a pas eu de référendum mais un autre accord, l’accord de Nouméa, dans lequel on a créé une citoyenneté calédonienne. Et il était bien dit que cette citoyenneté  calédonienne était acquise de droit à tous ceux qui avaient 10 ans de résidence. Et ça, ça n’était pas une fiction. Je veux dire que ça n’était pas le parti-pris des Loyalistes, l’État lui-même a publié une brochure à des milliers d’exemplaires qui précisait noir sur blanc que la citoyenneté calédonienne était bien acquise à tous ceux qui justifiaient de 10 ans de présence. Lorsque nous avons fait campagne pour le référendum de ratification de l’accord de Nouméa, qui a obtenu 72% de Oui, nous avons clairement dit ces choses-là.

Alors d’où est venu le gel ?

PB : Le problème est que lorsque l’accord est devenu une Loi organique, les indépendantistes ont commencé à contester, alors même que les choses étaient claires dès le départ. Le camp Loyaliste est resté sur le contrat moral qui avait été passé, mais Jacques Chirac, pour des raisons personnelles, par repentance, et parce qu’il ne voulait pas de vague en Calédonie, a profité de la défaite de Jacques Lafleur en 2004. Et du fait que l’Avenir Ensemble qui avait gagné les provinciales, était en alliance politique avec le Palika au Congrès, et donc de la faiblesse du camp Loyaliste, pour nous imposer le gel du corps électoral en 2007. Et ça sans revenir vers les Calédoniens, sans leur demander leur avis, c’est un coup de force parlementaire qui a imposé le gel du corps électoral. On s’est donc écarté de l’esprit et de la lettre de l’accord de Nouméa. Il faut à cet égard, s’intéresser au travail et aux débats parlementaires de l’époque, pour voir clairement que la majorité ressentait un sentiment de culpabilité face au gel du corps électoral. On sentait que c’était quelque chose de pas très honnête et imposé par la force. Lorsque François Barouin dit qu’il ne fallait pas s’inquiéter parce que cela ne concernerait que 700 électeurs, on voit qu’il s’est trompé d’à peu près 30 000 personnes ! Et il dit aussi que le gel n’était prévu que pour une durée limitée qui, au pire s’arrêterait en 2014 parce que tous les référendums auraient été organisés ! Chez les socialistes, René Dozières, Christian Paul qui fut ministre des Outre-mer, et Christian Blanc, ont tous dit la même chose, insistant sur le caractère transitoire du gel. Ces travaux parlementaires sont une source d’interprétation du sens des lois et de jurisprudence et tout le monde a été clair : en 2007, le gel du corps électoral était purement transitoire et n’était justifié que par la volonté de voir se dérouler dans le calme la période d’autodétermination.

D’autant que c’était là une situation quasiment unique en son genre.

PB : On savait que l’on faisait quelque chose contraire aux droits de l’homme. A ce sujet, la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, concernant la région italienne du Trentin-Haut Adige où vit une minorité germanophone, prévoit une protection de la population locale en admettant que les gens ne puissent voter qu’au terme d’une mandature de présence, nous sommes allés plus loin puisque 10 ans correspondent à deux mandatures. Nous sommes donc en dérogation par rapport à cette jurisprudence. Il est finalement impensable d’imaginer que dans un pays, dépendant de la République Française et de l’Europe, on tolère l’interdiction du droit de vote à des gens qui finissent par avoir 15, 20, 30 ans de présence ! Lorsque nous avons expliqué à la mission parlementaire en visite ici, que dans les classes se côtoient des enfants dont les uns, Calédoniens, pourront voter, et d’autres nés en Calédonie ne pourront pas voter parce que leurs parents sont exclus du droit de vote, une sorte « d’exclusion héréditaire », et bien, passez-moi l’expression, mais les députés sont « tombés sur les fesses ». Ils n’imaginaient pas que c’était là une des conséquences du gel du corps électoral. Si on regarde l’historique et si on regarde les arguments avancés à l’époque en faveur du gel du corps électoral, maintenant que la période d’autodétermination a été déroulée, que les trois référendums se sont tenus, que l’on est sorti de la durée de validité de l’accord de Nouméa pour les dispositions concernant l’autodétermination, il n’y a plus aucune justification juridique au gel du corps électoral. Il est important de le rappeler parce que beaucoup de jeunes sont nés après cette période, la mémoire de cette histoire se perd, et nous, Calédoniens, nous devons rappeler toute cette séance historique pour affirmer que contrairement à ce que peuvent prétendre certains extrémistes dans le camp indépendantiste, le dégel et le retour aux 10 ans glissants, ça n’est pas une menace pour la paix, mais au contraire que justement la paix a été construite sur les 10 ans. Les 10 ans glissants, c’est le socle de la paix et de la stabilité qui ont permis l’équilibre entre les aspirations des Loyalistes et celles des indépendantistes.

On est maintenant engagé dans un processus législatif de révision de la loi organique et de la Constitution, visant au dégel du corps électoral, et une bataille parlementaire. Pour la gagner, il ne faudra pas qu’une voix manque.

PB : Le camp Loyaliste n’est pas un bloc unique, il y a des sensibilités, des personnalités qui ont chacune leur légitimité. Il y a tout un nuancier de sensibilités et c’est parfois compliqué. Mais aujourd’hui, on a besoin de tout le monde. Pour gagner cette bataille fondamentale qui conditionne tout le reste, les élections provinciales, le fait de retrouver une majorité au Congrès qui défende les intérêts économiques et sociaux, les droits politiques du plus grand nombre, le camp Loyaliste a besoin de tout le monde et de toutes les énergies. Si depuis les sénatoriales, il y a un petit schisme au sein de la famille Loyaliste, je le dis, toux ceux qui font partie de la famille Loyaliste se battent pour le dégel du corps électoral. Je le dis solennellement, il n’y a personne aujourd’hui qui ne se bat pas pour le dégel. On a besoin de tout le monde, on a un sénateur, on a des maires qui au sein de leurs conseils municipaux ont des élus qui sont des maillons essentiels pour rassurer les gens et les élus de la Nation. Les rassurer sur le fait que la population calédonienne n’aspire qu’à la paix et au développement économique et social. Les rassurer face à ceux qui au FLNKS agitent la menace de violences en cas de dégel du corps électoral. Sur ce point, il me semble que ces gens-là sont de moins en moins suivis par leurs militants et leurs électeurs, qui, même s’ils sont indépendantistes de cœur, ne se reconnaissent plus dans les discours de la peur. Ils voient bien aussi que depuis des années, ils sont dirigés par une majorité indépendantiste et que ça n’a pas amélioré leur quotidien. Pourquoi en plus suivraient-ils ces oiseaux de mauvais augure qui disent qu’il faut mettre le feu à la Calédonie ? Ça n’est pas ça que veulent les gens. L’urgence, c’est d’éviter que des milliers de gens se retrouvent au chômage et de se battre collectivement pour assurer à tous les Calédoniens, un quotidien meilleur et décent. L’histoire va nous juger et si, dans cette séquence très sensible d’examen du projet de réforme constitutionnelle par le Sénat et l’Assemblée, nous ne sommes pas capables de parler d’une même voix, c’est que nous n’aurons pas été à la hauteur des enjeux. Et moi, je crois que nous sommes capables d’être à la hauteur des enjeux.

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