Emeutes en Calédonie : Rivière-Salée, un torrent amer

Le quartier de Rivière-Salée, dans Nouméa, résiste encore et toujours à la police. Les nombreux barrages tenus par des émeutiers, alcoolisés pour certains, laissent planer une peur et une inquiétude certaine. Nous l’avons traversé et nous vous racontons.

Si l’idée de traverser ce No Police Land n’était pas prévu initialement, c’est en suivant les barrages de rue en rue depuis le Médipôle, que nous nous sommes retrouvés sur l’avenue Bonaparte. Peu de journalistes s’étaient aventurés sur le goudron brûlant de ce quartier abandonné aux mains des émeutiers. Devancés par deux véhicules, nous avons donc emboîté le pas, sans prendre complètement conscience de la situation. Après un dernier virage, c’est un paysage de cendres et de débris qui s’est ouvert à nous. Mais où donc sont passés les habitants de ce quartier ? Sûrement reclus chez eux, comme la plupart des résidents de la ville et de sa banlieue en ce moment. Et nous les comprenons quand nous voyons le premier barrage se tenir devant nous.

Une fouille du véhicule

Celui-ci est gardé par des émeutiers, avec dans leurs mains ou à leurs ceintures, des armes blanches. Des griffes de jardinage, des barres de fers, un couteau, un gourdin, la panoplie d’un accueil chaleureux. « Vous venez d’où ? » nous demande un des gardiens de l’avenue en nous arrêtant, après avoir laissé les deux premières automobiles circuler sans même revenir au point mort. Nous répondons la vérité. Enfin du moins quelque chose qui y ressemble : « On arrive du Médipôle, où nous travaillons. Nous essayons simplement de regagner le centre-ville. » Après un rapide coup d’œil sur nos visages, et tout en restant calme, les émeutiers nous demandent de sortir du véhicule et d’ouvrir le coffre. L’un de nous s’empresse de le faire. Ils procèdent alors à une inspection minutieuse de la malle. Vide, comme les rues du quartier. Ils soulèvent le fond, une roue de secours, heureusement pas considérée comme une arme pour eux. Pendant, ce temps, le second d’entre nous ouvre son sac à la demande d’un des individus. Vide, comme la SAV.

Nous avons longtemps réfléchi à leur réaction et au destin de notre appareil photo, s’ils avaient découvert notre second bagage, posé par terre devant le siège passager, mais les individus ne s’y attardent pas. Heureusement, nos photos de la journée ont pu être diffusées en ligne à notre retour. Nous avons finalement repris le cours de l’avenue Bonaparte, l’un d’eux indiquant, par Talkie-Walkie aux barrages suivants, que la voiture a été checké, « Net ». Il faut tout de même noter qu’ils ne se sont en aucun cas montrés menaçants à notre égard. La présence, en nombre, de personnes sur la route, ne nous a pas permis de prendre des clichés de ce parcours du combattant mais, pour les plus têtus, un aller-retour là-bas vous garantira des sensations fortes et illustrera nos propos.

Des individus alcoolisés

Un second barrage nous fait alors face. Un jeu d’enfant après l’événement et la crainte ressentie sur le premier, surtout quand on se rappelle le triste sort de la voiture de nos confrères de NC La 1ère. Sur ce second mur de débris, les individus l’occupant nous laissent passer sans nous demander de rendre de comptes. L’information sur notre innocence a dû circuler plus vite que nous. Pas très difficile vu que nous sommes ralentis tous les trois mètres. Arrive le troisième et avant-dernier barrage. D’emblée, nous voyons que les émeutiers sont plus jeunes, la vingtaine, et surtout, sont alcoolisés. Un panneau « Ralentir, balle perdue » est positionné devant leurs barricades. Simple blague ou réelle menace ? Naïfs, nous pensons que l’information de la fouille de notre véhicule leur est arrivée. Mais la bouteille d’alcool, que tient celui qui se dresse devant nous, a sûrement noyé les piles de l’instrument de correspondance, ou simplement les foies des récepteurs. L’un d’eux, avachi sur sa chaise, ne semble même plus en mesure d’en bouger. Les questions se répètent, la scène aussi. Un peu lent à leur goût, un des individus frappe vigoureusement sur le coffre pour nous faire comprendre que le temps presse et qu’il faut l’ouvrir. Leurs paroles, nous laissant humer un désagréable parfum de liqueur, sont moins douces que celles prononcées sur le premier barrage. Nous sentons le moment s’éterniser. Mais le plus âgé finit par arriver et s’exclame que la voiture a déjà été contrôlée.

La fin de la route se fait tranquillement, le slalom géant entre les détritus se poursuit. La ligne d’arrivée se rapproche avec le rond-point signifiant la fin de notre périple dans ce quartier que nous n’oublierons pas. Un dernier barrage où des personnes nous accueillent gentiment, sans trop se soucier de l’enfer par lequel nous venons de passer. Etonnement, c’est également celui le plus impressionnant. Nous sortons et respirons enfin, soulagés mais conscients d’avoir vécu une intense traversée.

Eloi Coupry et Loris Castaing

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