Émeutes : au tribunal de Nouméa, les pilleurs se défendent, « on n’a rien cassé, on s’est juste servi »

Tandis que les violences urbaines se poursuivent dans Nouméa et ses alentours, défilent devant le tribunal correctionnel de Nouméa les premiers émeutiers et pillards interpellés, dont les profils variés et les motivations ont désarçonné les magistrats.

Ils sont les premiers visages connus du chaos généralisé qui s’est abattu depuis plus d’une semaine sur le pays. Alors que Nouméa et ses communes limitrophes vivent toujours, à des degrés divers, des scènes de guérilla urbaine, les procédures judiciaires s’enchaînent et le tribunal de première instance de Nouméa tourne désormais à plein régime. Illustration de cette activité un peu spéciale, des audiences supplémentaires de comparutions immédiates ont été ajoutées pour limiter l’embouteillage des dossiers et répondre à l’urgence.

Dans le box du tribunal correctionnel, quatre prévenus, les traits un peu froissés par quarante-huit heures de garde à vue et une nuit passée au Camp-Est, comparaissent pour avoir dérobé plusieurs cartons de bières au Carrefour Kenu-In (Dumbéa) vendredi dernier et, le lendemain, fait main basse sur une plaque chauffante à gaz, un micro-ondes, deux télévisions, des portables, une débroussailleuse et de l’outillage au préjudice de Darty et de « victimes non identifiées ». Ils viennent de Dumbéa et de Nouméa et, jurent-ils, « on a profité d’une bonne occasion ».

« Les gens chargeaient à bloc les bennes »

Contrairement aux centaines d’émeutiers arrêtés au cœur des barrages, ces amis âgés de 25 ans à 28 ans se sont vu passer les menottes… à Bourail. Il est 18h30, le samedi 18 mai, lorsque les gendarmes de la brigade de la côte Ouest se mettent en place sur la RT1 pour vérifier que le couvre-feu est bien respecté lorsqu’ils repèrent un pick-up débouler. Invité à s’arrêter, le conducteur soutient qu’il pensait que la mesure prise par le Haut-commissaire ne s’appliquait pas à la Brousse mais les gendarmes, sur le qui-vive, découvrent sous la bâche de la benne des objets neufs et encore empaquetés. Les forces de l’ordre comprennent rapidement de quoi il s’agit.

Patenté soudeur à la mine de Goro, le plus bavard de la bande assume avoir récupéré ces objets devant les magasins mais il lui est plus difficile d’admettre qu’il s’agit d’un vol. Encore moins d’une infraction. « Les entrepôts étaient déjà ouverts, on a juste ramassé les choses devant », se défend-il avant d’expliquer, certainement maladroitement, avoir vu sur son portable « des vidéos avec des jeunes et des vieux » sur les scènes de pillage. « On a fait comme eux, on s’est servi mais on n’a rien cassé. »

Ce jeune père de deux enfants, neuf fois condamné dont la moitié pour des vols, avance une théorie que le dossier n’aura pas permis de confirmer. Ni son avocat non plus qui pourtant assure qu’il dit vrai. S’il a « profité » de cette situation, c’est parce que « la propriétaire de Darty a écrit sur les réseaux que l’on pouvait venir récupérer des objets avant que le bâtiment ne brûle. Tout avait été mis sur la route devant le magasin, les gens chargeaient à bloc les bennes. »

Dans le Nord, « il n’y a pas la milice »

A les regarder et à les entendre, ces jeunes gens semblent davantage d’opportunistes glaneurs que de véritables casseurs qui ont mis le pays à genoux. La présidente le reconnait : « vous ne portez pas la responsabilité de tout ce qui s’est passé ». D’ailleurs, disent-ils en chœur, « on n’a pas levé les stores des magasins, on n’a pas participé aux blocages et aux émeutes ». Un autre, employé dans une papeterie en CDI et dont la femme accouche le mois prochain, raconte qu’avec ses amis ils se « baladaient » en pleine nuit et qu’ils sont « venus voir » devant Carrefour Kenu-In « s’il restait des choses à prendre ». « Dans tout Nouméa, les gens circulaient avec du matos. »

Particularité de cette affaire, les quatre prévenus avaient l’intention, avant de se faire stopper à Bourail, de « distribuer » le matériel volé à « la famille » à Koumac et à Touho. « Nos tontons ont vu que les magasins et les docks étaient ouverts, on voulait les aider à la tribu. Ils ne sont pas aisés », avance l’un d’eux. Et puis, « dans le Nord, c’est plus tranquille. C’est bon. On sait que là-bas, il n’y a pas de milice. »

La présidente écarquille les yeux, prise de court par tant de franchise depuis le début de l’audience et une certaine légèreté face aux infractions reprochées. « Vous faites une livraison, donc », résume-t-elle. « On a l’impression que c’est une opération de bon cœur, de solidarité. Derrière ces pillages, il y a des victimes désemparées et une économie en danger. Ces objets n’étaient pas en libre-service », poursuit la magistrate. Elle confesse : « c’est déconcertant ce que vous dites ».

Des « opportunistes », pas des « indépendantistes radicaux »

Penauds dans le box, ils n’ont jamais rien caché de leurs intentions. Ils ont eu, en revanche, le plus grand mal à expliquer la provenance des 600 000 francs retrouvés en petites coupures sur eux au moment de leur interpellation par les gendarmes. « J’avais tout retiré sur mon compte », justifie le soudeur qui révèle gagner jusqu’à 800 000 francs dans les meilleurs mois. Mais maintenant, le nickel, « ça ne paye plus trop ».

Au cours du procès, jamais ces pilleurs n’évoqueront la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT) dont les responsables sont soupçonnés d’avoir commandité les violences et qui a été qualifiée d’organisation « mafieuse » par le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin. Le procureur Nicolas Kerfridin est lucide : « ce sont des opportunistes qui ont profité des situations de désordre », pas « des indépendantistes radicaux ». Parce que le Code pénal continue de s’appliquer, la juridiction devra tenir compte « des profils, des situations familiales, du passé pénal et de l’état de la détention » mais le parquetier l’enjoint à donner « une réponse claire et ferme de l’institution judiciaire » pour « donner un signe à ceux qui seraient tentés de faire la même chose ». Dix-huit mois de prison ferme et neuf mois de prison ferme sont requis à l’encontre des prévenus qui « ont pillé des magasins ».

« Ils voulaient jouer au père Noël »

Inquiet que le « principe d’individualisation des peines » soit bafoué sur l’autel d’une justice expéditive avec la tentation d’infliger à ses clients « des peines exemplaires » pour en faire « des exemples », l’avocat de la défense Me Stéphane Bonomo implore le tribunal de ne pas les incarcérer. « On ne peut pas leur faire vivre un enfer au Camp-Est » simplement parce qu’ils « voulaient jouer au père Noël. Ce n’est pas eux qui ont déstabilisé le territoire en volant trois packs de bières sur un parking. Si on requiert 18 mois de prison pour ces gens-là, quelles seront les peines pour les émeutiers ? »

Le conseil ne s’était pas privé de tourner en dérision cette affaire, dévoilant qu’un hélicoptère Puma de l’armée avait été « envoyé pour les rapatrier de Bourail à Nouméa. Ce sont des moyens exceptionnels et coûteux pour l’État pour un vol de deux télés… »

Quelques minutes plus tôt, un prévenu, patenté-peintre qui enchaîne les contrats non déclarés, avait décrit « la crise » au Camp-Est où « on crève de faim. Les portions de nourriture sont limitées. On regrette, on ne pensait pas que ça irait aussi loin… »

Vingt minutes en salle des délibérés et le tribunal annonce son retour en salle d’audience. Deux prévenus écopent de huit mois de prison ferme avec un mandat de dépôt, synonyme d’incarcération immédiate. Deux autres sont sanctionnés de huit mois de prison ferme dont la moitié avec sursis et échappent à la prison. Un « avertissement sévère », a conclu la présidente : « si vous recommencez, vous n’échapperez pas au Camp-Est ».

Jean-Alexis Gallien-Lamarche 

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