Rencontre avec… Bruno Dalles

Après deux ans et demi à la tête du parquet général de la cour d’appel de Nouméa, Bruno Dalles raccroche la robe pour rejoindre la Principauté où il a été nommé directeur de l’Autorité monégasque de sécurité financière, un organisme indépendant chargé de lutter contre le blanchiment de capitaux et la corruption. Un clin d’œil du destin pour cet ancien patron du service de renseignement financier Tracfin. Il livre sa vision du territoire, analyse les émeutes du 13 mai et précise les efforts de la justice pour se « calédoniser ».

Vous quittez votre poste de procureur général après deux ans et demi de fonction. Pensez-vous que la Nouvelle-Calédonie est un territoire violent ?

Si l’on mesure la violence au regard de l’activité pénale, il est évident que la Nouvelle-Calédonie est un territoire où la violence occupe une place prépondérante dans la société. Et ce, depuis longtemps. On le voit notamment sur la question des violences conjugales et intrafamiliales. Si l’on a une conception plus large de la violence, on peut également le constater sur les effets délétères de l’alcool et de la consommation élevée de cannabis sur les violences physiques, comme le démontrent certaines affaires. Je pense à cette personne âgée qui a refusé de donner de l’argent à un jeune garçon et qui a été durement violentée en retour, à Rivière-Salée. Et puis, bien évidemment, depuis le 13 mai, il y a eu un déchaînement de violence et de dégradations qui ont fait exploser nos statistiques. Autre marqueur : les violences envers les forces de l’ordre qui sont parmi les plus élevées dans l’hexagone. Je dirai que, finalement, c’est une terre de paradoxe, car c’est un territoire où l’on parle de respect, d’humilité et de coutume de pardon. Je me demande même si ce besoin de respect et de coutume de pardon n’est finalement pas lié à un environnement qui est structurellement violent.

La crise sociale et économique que traverse le territoire pourrait-elle entraîner de nouvelles formes de délinquance?

Il est certain que cette crise aura nécessairement un impact sur les contentieux. Auparavant, nous étions confrontés à des vols d’opportunité, avec des cambrioleurs intéressés principalement par des bouteilles d’alcool. Depuis quelques semaines, nous constatons que c’est le fond du frigo qui intéresse les voleurs, simplement pour manger. On ne parle pas encore d’émeutes de la faim. Cependant, il y a bel et bien des vols dans les supermarchés, commis par des personnes qui dérobent un simple produit alimentaire parce qu’elles ne peuvent pas faire autrement. C’est une réalité.

Outre le volet pénal, il y a eu une telle destruction d’emplois, une telle situation d’appauvrissement général et d’inégalités sociales que forcément, cela ne peut que créer des tensions si les amortisseurs financiers et sociaux sont insuffisants. Je peux vous dire qu’il y a une augmentation très nette des procédures en matière de droit du travail. Les procédures collectives ont explosé avec des liquidations judiciaires directes. Nous voyons bien qu’il y a tout un tissu économique qui a été détruit et que la reconstruction sera difficile.

La Nouvelle-Calédonie a connu des violences insurrectionnelles d’une gravité exceptionnelle. Avez-vous craint que la République vacille à cette époque ?

Je ne pense absolument pas que la République ait pu vaciller. Je crois qu’au contraire, elle a tenu par la force et la coordination des responsables et représentants locaux de l’État. Ce qui a, peut-être, manqué, c’est la prise de conscience à Paris de la gravité de la crise, de la réalité des violences et des dégradations avant de bénéficier rapidement de renforts, y compris sur le plan judiciaire. Si je n’ai pas eu peur pour la République, j’ai eu peur pour la Nouvelle-Calédonie. Lorsque les émeutes ont éclaté, j’étais à la réunion des procureurs généraux dans l’hexagone. Grâce à mes contacts avec le ministère de l’Intérieur, j’ai pu être rapatrié dans le premier vol affrété avec des renforts des unités d’élite du Raid et du GIGN. Quand je suis arrivé à l’aéroport de Magenta, on entendait les tirs de partout, les détonations, on sentait la fumée. J’ai immédiatement pris conscience de la situation insurrectionnelle. J’ai compris ce que les habitants vivaient depuis deux jours.

Si la République n’a pas vacillé, le pouvoir calédonien aurait-il pu être directement atteint? Le gouvernement local était-il un objectif des émeutiers ?

Ce qui est incontestable, c’est que les insurgés avaient la maîtrise du terrain dans les premiers jours. Ceux-ci auraient très bien pu marcher sur le gouvernement, le Haut-commissariat ou le palais de justice. Ce qu’ils n’ont pas fait. Cela montre bien que la conquête du pouvoir n’était pas la stratégie prioritaire de ceux qui ont préparé et organisé ces émeutes. Ils étaient davantage dans une volonté de destruction économique massive. La doctrine revendiquée des responsables de ces événements était de demander la démission collective des élus politiques. Je pense donc qu’il y avait une volonté de marcher sur les institutions pour forcer les élus à démissionner, pas pour saccager les institutions. L’objectif final était de prendre le contrôle politique.

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Propos recueillis par Jean-Alexis Gallien-Lamarche

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