Rencontre avec… Bruno Dalles

Le procureur général s’exprime assez peu dans les médias. Quand il le fait, c’est toujours intéressant. Cette fois ne fait pas exception. Bruno Dalles y explique notamment sa volonté que le dossier des commanditaires présumés des émeutes soit jugé en Nouvelle-Calédonie et non en Métropole comme certains le réclament.

La voix du Caillou: Pouvez-vous nous rappeler, en quelques mots, en quoi consiste une procédure de dépaysement ?

Bruno Dalles : La procédure de dépaysement est définie par l’article 665 du Code de procédure pénale et consiste à dessaisir une juridiction compétente afin de renvoyer le dossier au profit d’une autre juridiction sur le seul critère d’une meilleure administration de la justice. Cet article permet au procureur général près la cour d’appel, s’il considère que la requête est utile, de saisir la chambre criminelle de la Cour de cassation pour étudier la demande de dépaysement. Cette possibilité existe aussi pour le procureur général de la Cour de cassation. Le texte est clair : le procureur général peut le faire soit de son initiative, soit à la demande des parties. Dans ce cas précis, c’est à la demande de certains avocats de la défense que j’ai été amené à me prononcer sur cette demande de dépaysement.

LVDC : Vous avez rendu votre décision mercredi…

B.D. : Effectivement, j’ai rendu une décision de refus de dépaysement de ce dossier. J’ai pris le temps d’étudier tous les arguments qui avaient été présentés par la défense. J’ai indiqué que, de mon point de vue, ces arguments ne permettaient pas la saisine de la Cour de cassation. C’est donc un rejet de saisine de la chambre criminelle de la Cour de cassation parce que les conditions de mise en œuvre de l’article 665 ne me paraissent pas réunies.

LVDC : Les avocats de la défense critiquent une supposée partialité de la justice, les prises de parole publiques du procureur Yves Dupas ou encore le manque de moyens des magistrats. Qu’avez-vous répondu à ces arguments ?

B.D. : J’ai argumenté point par point en rappelant notamment que l’article 11 du Code de procédure pénale permettait au procureur de la République, et à lui seul, de communiquer sur les affaires judiciaires. J’ai considéré que s’il avait dû le faire, c’est parce que depuis le 13 mai, nous sommes confrontés à beaucoup de désinformation, de rumeurs, de « fake news » et que ces communiqués de presse écrits sont parfaitement utiles. J’ai ajouté aussi, puisque c’était une critique, que le fait de parler d’une « organisation criminelle » en évoquant la CCAT ne me semblait absolument pas anormal dans la mesure où l’information judiciaire a été ouverte sur des infractions d’association de malfaiteurs, d’infractions en bande organisée ou encore d’infractions criminelles. Dans le langage courant, quand on parle d’organisation criminelle, c’est synonyme d’association de malfaiteurs. Ce n’est en aucun cas une atteinte à la présomption d’innocence puisqu’il n’a jamais été en question de jeter en pâture les noms des différents suspects. En tout cas, ce n’est pas du côté du ministère public que des identités ont fuité. Le seul nom qui a été donné est celui de Christian Tein puisqu’il est président de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT). Ce sera donc à l’information judiciaire de déterminer si l’ensemble des personnes de la CCAT, ou seulement certaines, sont ou non impliquées dans ce qui s’est passé le 13 mai et les semaines suivantes.

LVDC : Vous balayez totalement les critiques sur la partialité supposée de la justice…

B.D. : À ceux qui me disent que la justice n’est pas impartiale, je réponds que j’aimerais connaître les éléments qui permettent de le justifier. Ce dossier est confié à deux juges d’instruction indépendants qui dirigent les investigations, qui instruisent à charge et à décharge. Si une partie n’est pas satisfaite du dossier, elle peut faire des demandes d’actes, que ce soit le parquet, les avocats de la défense ou les avocats des parties civiles, s’il y en a un jour. L’institution fonctionne de manière impartiale, à charge pour nous de veiller à ce qu’elle ait les moyens de fonctionner et qu’elle soit protégée. Ce que je dirais aussi, c’est qu’on a l’habitude, nous la justice, et peut-être encore plus en Calédonie qu’ailleurs, d’être critiqué par tout le monde. Les uns disent que la justice est coloniale, les autres disent qu’elle est laxiste. Non, elle est impartiale.

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Propos recueillis par Jean-Alexis Gallien-Lamarche

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