Une journaliste de La voix du Caillou car-jackée devant Saint-Louis

Dans ce secteur du Mont-Dore, ce vendredi, plusieurs automobilistes ont été arrêtés de force. Leurs véhicules ont été volés. C’est notamment arrivé à une journaliste de notre rédaction, en fin de matinée. Récit des faits.

On ne donnera ni son prénom, ni son nom. Pour préserver son identité, sa tranquillité. Tout juste saurez-vous qu’elle a 26 ans, qu’elle est journaliste depuis quatre ans dont huit mois à La voix du Caillou, qu’elle a grandi à Pouembout, que c’est une Calédonienne, avec ses bons côtés : un sourire éclatant et permanent, qu’elle n’a pas perdu malgré l’agression, de la bonne humeur, de l’humour et de la répartie, qu’elle a toujours. Les pirates de la route sévissant, jusque-là en toute impunité, sur le tracé bordant la tribu de Saint-Louis lui ont arraché sa voiture, et avec elle des bananes qu’elle venait d’acheter en chemin à la Conception, un appareil photo auquel elle tenait beaucoup, une couverture, des contraventions qu’elle ne paiera donc pas, mais ils n’ont pas réussi à lui voler son éternel enthousiasme. Ils l’ont néanmoins atteint. Pas coulée, notre pétillante collègue, mais touchée.

Kaméré, Rivière-Salée…

Ce vendredi, elle est arrivée, comme chaque matin, à 8 h, moment de la réunion de la rédaction. Un peu après pour ne rien vous cacher, car elle est comme ça, elle fonctionne avec un moteur diesel : du temps pour le chauffer, puis infatigable, capable d’avaler les kilomètres sans tousser. Mercredi, elle est partie seule à Kaméré, sans crainte, en mission, pour vous informer. Le lendemain, jeudi, elle était accompagnée d’une collègue expérimentée, cette fois à Rivière-Salée. Situation peu rassurante sur place, mais elle n’a « pas eu peur ». Pourquoi tremblerait-elle ? Parler avec des Calédoniens et des Calédoniennes, peu importe leurs opinions politiques, c’est ce qu’elle a toujours fait et qu’elle continue à faire depuis le début de la crise, le 13 mai.

Ce vendredi 31 mai, donc, « vers 9-10 h », après en avoir discuté avec une partie de l’équipe, elle a pris la route vers le Mont-Dore, en passant par Robinson et la Conception. Elle s’est arrêtée à Boulari, pour échanger « avec des gens », de « tous bords confondus ». Comme toujours – hormis ces trois dernières semaines où exercer son travail de journaliste a souvent été compliqué pour tous étant donné le niveau général de violence, de tension et de crispation -, cela s’est « bien passé » avec ses interlocuteurs.

Notre collègue a alors choisi de filer plus loin, vers le sud, avec pour objectif d’aller observer la réalité pour vous la décrire, par des mots et des images. « J’y suis allée pour voir l’ambiance, pour poser des questions. Je me suis dit : ”tant que je ne suis pas barrée vraiment, je tâte l’ambiance, je parle aux gens”. »

Avec l’aval des gendarmes

Prudente, et consciente du fragile équilibre sur lequel repose l’actuel retour au calme (relatif) dans le pays, elle s’est arrêtée devant la gendarmerie de Saint-Michel. Elle a échangé avec des militaires, leur demandant comment est la situation depuis quelques jours (ils n’ont pas souhaité répondre) et si elle peut rouler en toute sécurité dans cette direction. Leur réponse : « oui, oui, c’est bon, il n’y a pas de souci, ça circule ». Elle a donc repris son chemin, avec l’ambition d’aller jusqu’à La Coulée. Donc passage obligatoire devant Saint-Louis.

Voiture fouillée deux fois

Sur le trajet aller, sur une route ressemblant à une zone de guerre (« C’est Bagdad ! »), elle a, au volant de sa Fiat Punto grise (sa voiture personnelle), slalomé entre les obstacles jonchant la chaussée, pris des photos notamment d’éléments en train de brûler, passé des barrages filtrants, puis deux barrages avec cette fois une fouille du véhicule : intérieur, boîte à gants, coffre… Intrusif, impressionnant mais pas violent, même si elle a eu droit à quelques sifflements sexistes sur son passage. Elle leur a expliqué être journaliste. « Les gens étaient super gentils, ils me disaient bonne continuation. » Notre collègue, à la demande d’un jeune, avait prévu de s’arrêter sur le trajet retour, pour l’interviewer. Elle n’en a finalement pas eu l’occasion, puisque quelques minutes plus tard et kilomètres plus loin, elle s’est retrouvée piétonne.

« Ce sont des gosses, ils ont 14 ans »

Après avoir dépassé l’entrée de la tribu de Saint-Louis et avancé un peu, toujours sur la RP1 en direction de La Coulée, elle a fait demi-tour, lassée de cette route n’inspirant pas confiance. C’est là, quelques mètres plus loin, qu’elle voit dans ses rétroviseurs un « fourgon, un peu cabossé », couleur sombre. Elle remarque qu’on la colle, que ça klaxonne. Elle pense qu’elle n’avance pas assez vite, mais ne peut accélérer vu l’état dégradé du bitume. Le fourgon la double alors. A l’intérieur, elle aperçoit trois ou quatre individus. Des jeunes.

« En me doublant, ils me regardent, ils voient que je suis une femme et que je suis seule, ils me doublent puis ils s’arrêtent devant moi. Du coup, je m’arrête », raconte-t-elle. « Ils regardent à nouveau, puis ils descendent. Ce sont des gosses, ils ont 14 ans. Ils descendent et ils disent : ”contrôle du véhicule”. Moi, bête comme je suis, je ne fais pas attention, comme j’ai déjà eu deux contrôles ça m’embête mais je leur dis : ”oui, il n’y a pas de souci”. » Elle n’avait pas vraiment le choix.

La citadine n’était pas verrouillée. « Parce que j’ai une vieille voiture, je ne peux pas fermer de l’intérieur… »

« Tu me passes ta clé, sinon je te sabre »

La suite ? « Un mec rentre sa tête par ma vitre, puis il ouvre ma porte et il me demande : ”hé, passe ta clé !” Je lui dis : ”pourquoi tu veux ma clé ?” Puis : ”non, tu ne vas pas avoir ma clé, c’est bon, les garçons, arrêtez !”»

« Je me suis prise pour qui ? », relève-t-elle, désarmante de sincérité.

« Du coup, il me regarde » et dit cette fois : ”hé, tu me passes ta clé, sinon je te sabre”. Il avait le sabre à la main », qu’il a levé à mi-hauteur. « Quand il m’a menacée, là j’ai commencé à avoir peur. Je n’ai pas fait ma maligne, je lui ai donné mes clés, je suis sortie et il s’est barré avec ma voiture », rejoint par un complice. La Fiat Punto grise s’est ainsi envolée, en direction de Saint-Louis, dans un convoi mené par le fourgon cabossé. L’homme au sabre ? « Mélanésien, petit, fin », visage à découvert, « environ 14 ans », peut-être « 15 ».

« Ils en ont profité »

En se passant et se repassant le film dans sa tête, notre collègue, qui dans l’action a eu le temps de sauver son sac à main, note : « ils en ont profité, parce qu’il n’y avait personne devant, personne derrière, et ça se voyait qu’ils étaient speed en mode ”fais vite, fais vite”, avant que quelqu’un arrive ».

Lorsqu’elle s’est retrouvée bloquée par le fourgon, a-t-elle pensé à accélérer pour s’échapper, quitte à renverser l’un des jeunes ? Non, dit-elle. « A ce moment-là, tu ne réfléchis pas à ça, surtout que je ne pensais pas du tout qu’ils essaieraient de voler ma voiture. »

Deux femmes, un café, un mari, un cousin

« J’étais choquée. Je me retrouve » là, seule, à pied, en pleine RP1 devant Saint-Louis. « Heureusement qu’il y avait deux femmes qui étaient en haut, qui m’ont appelée, elles avaient vu la scène : elles m’ont dit de venir. J’avais envie de pleurer à ce moment-là. Du coup, elles m’ont rassurée, une m’a dit : ”ne vous inquiétez pas, mon mari va essayer avec son cousin d’aller chercher la voiture”. La dame m’a fait rentrer chez elle, m’a servi un café. On a discuté. » Les gendarmes ont été appelés par une autre journaliste, prévenue de l’incident. Ils ne se sont pas déplacés.

La voiture n’a pas été retrouvée par le mari et le cousin. Un homme a ramené notre collègue jusqu’à la Conception, où elle a été récupérée par deux journalistes, puis conduite au commissariat à Nouméa. Elle y a déposé une plainte.

« J’ai donné mon numéro à la dame qui m’a accueillie à Saint-Louis. Elle m’a dit : ”écoute, si jamais on retrouve ta voiture on t’appelle”. Mon rêve, c’est qu’elle m’appelle là dans l’après-midi ou demain, dans le week-end, et qu’elle me dise : ”on a retrouvé ta voiture !” » Pour autant, « je ne me fais pas d’idées, je le sais, elle va se retrouver comme une carcasse au bord de la route, avec les autres ».

« Est-ce qu’ils font ça aussi à des Kanak ? »

« Je me suis posée la question, je me suis dit : ”peut-être tu aurais dû forcer un petit peu encore, dire encore non”. J’ai culpabilisé, je me suis dit : ”ça se trouve, ce n’est que de la menace, ils ne sont pas capables de te sabrer”, mais sur le moment tu n’y penses pas, tu ne penses pas que tu peux insister. » Notre collègue s’interroge alors à haute voix, d’une phrase qui fait froid dans le dos : « je ne sais même pas s’ils auraient pu me sabrer, en vrai ».

Autre question (c’est une journaliste, on ne se refait pas) : « est-ce qu’ils font ça à tout le monde, est-ce qu’ils font ça aussi à des Kanak, ou est-ce qu’ils font ça juste à des blancs ? » Ce n’est pas une question de citoyenneté, puisque cette journaliste, qui a des cousins d’origines diverses (Europe, Kanak), est une enfant du pays.

Conclusion : « il faut dire aux gens, ne prenez pas » la route passant devant « Saint-Louis, d’autant plus si vous êtes blanc… Non, je rigole. » Son sens de l’humour est intact, mais qu’en sera-t-il de son moral quand elle aura réalisé ce qu’elle a vécu ?

De plus, même si ce n’est pas le plus important car matériel, elle se retrouve en difficulté : sans voiture et avec pas assez d’argent pour en acheter une autre. « Je ne sais pas comment je vais faire, là, en fait. Moi, je bouge tout le temps avec ma caisse. » Et puis, « ce n’est pas comme s’il n’y avait pas déjà d’autres problèmes financiers. Je n’avais pas besoin de ça maintenant. » 

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