Le collectif féministe Collage de Mass était une nouvelle fois de sortie, jeudi soir, pour venir couvrir certains murs de Nouméa. La troisième opération depuis le début de l’année 2024, avec, à chaque fois, des messages impactant.
Avant le départ, l’heure est aux derniers préparatifs. Vérifications des messages, choix des lieux mais aussi, rappel de certaines consignes. « Pendant le collage, on ne parle pas, on reste calme, on se dépêche et surtout, s’il y a les flics, on ne part pas en courant. On reste souriante et agréable », glisse Anna*. Jeudi soir, elle est, en quelque sorte, « la maman du groupe ». « J’avais remarqué les premiers collages sur les réseaux sociaux et j’ai tout de suite contacté les filles. J’étais contente de voir ça ici. J’ai commencé comme cela », dit-elle, la voix grave. Si elle a près de trois ans de collage derrière elle, d’autres en revanche ont rejoint l’aventure il y a peu. Louise* et Manon* participent respectivement à leur troisième et à leur quatrième sortie. Elles sont présentes car « elles sont révoltées » par la société actuelle. « Je n’ai jamais été violée, je n’ai pas eu de problème avec mon père, il ne m’est jamais rien arrivé… C’est important également de rappeler que toutes les filles présentes n’ont pas forcément vécu quelque chose de dramatique dans leur vie », développe Louise. Toutes, en revanche, « en connaissent » au moins une. C’est pour ça qu’elles souhaitent agir, à leur façon, à leur niveau.
Une action « thérapeutique »
Jeudi soir, le groupe est complété par Lina*. Quatre femmes, déterminées et motivées. « On a rarement été aussi peu nombreuses pour un collage, mais ça va aller », sourit Anna. Si leur action est illégale, les jeunes femmes, aux profils variés, demeurent pacifistes. Leur arme ? Des feuilles blanches, de la peinture rouge et de la colle artisanale ou industrielle. Et surtout, des idées infinies qu’elles puisent dans les actualités parfois morbides, souvent révoltantes. « Chacune arrive avec ses convictions, avec ses idées. Il n’y a pas de leader en particulier. Tout le monde peut proposer un thème, un collage », détaille Louise. Le travail se met ensuite en place, avec la partie peinture, « qui peut être très thérapeutique finalement », et la partie collage évidemment. « Notre crime, ce sont des feuilles A4 et de la peinture acrylique », avancent-elles d’une même voix.
« Un nouveau mur »
21 heures, l’armée féminine monte à bord d’une voiture, messages soigneusement rangés au côté des pots de colle et des pinceaux. Le premier arrêt est effectué à Nouville. En quelques secondes, les lettres apparaissent sous les yeux des passants : « Not all men mais beaucoup trop ». La colle encore humide, elles sont déjà remontées à bord de l’habitacle après avoir, bien évidemment, immortalisé le message pour le poster, plus tard, sur les réseaux sociaux. Les spots sont repérés et généralement décidés au préalable. « Il y en a certains qu’on affectionne particulièrement parce qu’ils sont très visibles et dans des endroits très passants la journée ou à l’inverse dans des endroits très calmes pour coller », explique Manon. Après Nouville, elles ont ainsi pris la direction de la route stratégique, de l’As de Trèfle à Magenta, où elles ont inauguré « un nouveau mur, trop beau », du théâtre de Poche au Quartier-Latin et du boulevard Extérieur où le vaste mur de la caserne militaire est une magnifique toile d’expression. Les phrases sont courtes. Elles sont choc, surtout : « sécateur pour les violeurs », « b… de violeurs dans le mixeur », « agresseurs bientôt votre heure » ont ainsi été affichés, en plus du message réservé à Gérard Depardieu (lire encadré), « Depardieu, fais tes adieux ».
« Bravo, bravo, bravo »
Peu après 22 heures, la mission est déjà achevée. L’adrénaline redescend peu à peu. Ce soir-là, aucune voiture de police n’est venue perturber la mission du collectif. Les klaxons, eux, se font parfois entendre en plein milieu des collages. « Merci les filles, franchement, bravo, bravo, bravo », crie une femme au volant de son véhicule, en ralentissant à la hauteur des militantes. Une petite récompense qu’elles ne réclament pas, mais qu’elles accueillent les bras grands ouverts. « Ça nous arrive quasiment tous les soirs, les gens commencent à nous reconnaître, ça fait du bien, ça fait chaud au cœur », clament-elles.
Mais le chemin est encore long. La mission à peine achevée, elles pensent déjà à leur prochain rassemblement alors que se profile la Saint-Valentin, qui pourrait bien les inspirer fortement. Mais, en attendant « cette fête commerciale », elles vont reprendre le cours de leur vie. Sans un bruit, chacune de leur côté. « Dès demain, on retourne toutes au travail, on va serrer des mains, on va dire bonjour », rigole Louise, qui mène cette « double vie » avec passion, mais surtout avec discrétion. Seuls quelques « très proches » sont généralement au courant de ces activités nocturnes. « C’est mieux comme cela, on ne sait jamais qui on croise, on peut parfois être déçue », raconte Lina. « Moi, mes parents sont en Métropole, je ne leur en ai même pas parlé », enchaîne Manon, à l’évocation notamment du côté « illégal » de leur action. Mais, pour elles, l’intérêt est ailleurs. Comme un devoir, presque.
* Les prénoms ont été modifiés.
Claire Gaveau