C’est pour venir visiter sa famille que Roland Bacon sera en Calédonie dans quelques jours. Le « père » de MUSE (Multi Unit Spectroscopic Explorer) l’un des instruments les plus connus dans le monde de l’astronomie profitera de son passage sur le Caillou pour animer, le 2 novembre à 18h, à l’amphi 400 de l’UNC, une conférence publique sur le thème « L’origine de l’Univers. D’où venons-nous ? »
De quoi allez-vous nous parler lors de cette conférence ?
Roland Bacon : Mon idée, c’est de parler de l’origine de l’univers, vaste sujet. Alors bien évidemment je ne peux pas forcément apporter toutes les réponses, mais il y a eu énormément de progrès sur ce sujet au cours des dernières années et on continue d’en apprendre toujours plus avec les nouveaux moyens d’observation et je pense que c’est intéressant de donner le contexte. C’est vraiment une conférence ouverte au grand public. Mon idée, c’est vraiment d’identifier ce qu’on fait, d’évoquer les grandes notions d’astronomie et d’aborder des questions qui sont vraiment essentielles, des questions fondamentales que l’on se pose depuis tout le temps et dont on peut apporter certains types de réponses. La science a des choses à dire là-dessus. Cette conférence c’est donner le contexte, montrer les avancées et montrer aussi les questions que l’on se pose encore, qui ne sont pas résolues. C’est une grande histoire que je vais essayer de résumer en une heure.
Il est important, pour le chercheur que vous êtes, de transmettre, de partager avec large public ?
RB : C’est très important, ça fait partie de notre travail, on fait de la recherche de pointe certes, mais on n’a pas vocation à rester dans notre tour d’ivoire. Je dirais que c’est même aujourd’hui, peut-être encore plus important qu’hier. Aujourd’hui la science est beaucoup questionnée, on a pu le voir à travers toutes les discussions qui ont eu lieu, par exemple sur les vaccins ces dernières années. C’est peut-être intéressant de mettre les choses en perspective et d’échanger avec le grand public. Nous avons notre rôle à jouer dans la société et il est important qu’on puisse se faire entendre.
Comment définissez-vous votre métier ?
RB : Je m’interroge sur l’Univers. Je suis fasciné par ces grandes questions et pour moi, mon métier, c’est de participer à la grande aventure de la science, c’est une grande œuvre collective que l’on a bâtie au cours des siècles. J’essayerai d’ailleurs pendant la conférence d’introduire cette dimension historique, parce que je crois que l’on peut comprendre où on en est aujourd’hui parce que c’est quelque chose qui s’est bâti tout au long de l’histoire avec des avancées scientifiques. Et je suis particulièrement heureux de participer à cette grande aventure.
J’aimerais que vous nous parliez de l’instrument MUSE, un instrument que vous avez inventé et qui est installé sur le plus grand télescope du monde le Very Large Télescope au Chili ?
RB : C’est une longue histoire que j’avais démarrée juste après ma thèse. En fait, développer un nouveau concept, une nouvelle façon d’interroger l’univers et l’aboutissement de ça, même si ce n’est pas complètement fini, ça a été le projet Muse qui a eu beaucoup d’impact et qui a produit beaucoup de résultats scientifiques. D’ailleurs si je viens dans cette partie de l’hémisphère sud, habituellement je suis côté Chili, c’est parce que j’ai un très grand projet avec la Communauté européenne et l’Australie qui souhaite rejoindre l’Europe pour développer ses perspectives en astronomie. Ce projet qui est une prolongation assez logique, mais beaucoup plus ambitieuse du projet MUSE, c’est la construction d’un possible nouveau télescope dans l’hémisphère sud.
MUSE, il y a un côté très poétique dans le nom de cet instrument ?
RB : La genèse des noms pour des projets scientifiques, c’est toujours amusant. Alors nous avons besoin d’avoir des noms qui signifient quelque chose. MUSE au niveau technique signifie quelque chose par rapport à la façon dont est construit l’instrument, et il y a l’aspect découverte spectroscopique du ciel, mais c’est un nom qui marche dans plein de langues, ça c’est important puisque ce sont des projets internationaux et puis il y a quelque chose que je trouve très beau, c’est que l’astronomie est la seule science qui a sa muse. Elle s’appelle Uranie donc il y a quelque chose de symbolique, cette muse nous a guidés pendant de nombreuses années à travers notre exploration de l’univers, et nous sommes très contents de faire ce chemin avec elle.
A quoi sert cet instrument ?
RB : En fait, si vous voulez, pendant de nombreuses années, on a fait de l’astronomie de position, on regardait où étaient les astres et cela nous a permis de comprendre beaucoup de choses et notamment de comprendre que la Terre n’était pas au centre de l’Univers. La lumière des astres peut nous renseigner sur les formes à travers les images, mais si l’on veut avoir plus d’informations sur la physique des objets du ciel, il nous faut analyser la lumière. C’est un peu comme une analyse ADN, qui vous permet de déterminer beaucoup de choses sur les caractéristiques d’une personne. C’est un peu la même chose avec la lumière. Depuis la découverte de la mécanique quantique, on sait que la lumière transporte beaucoup d’informations : quels atomes ont émis la lumière, dans quel état physique ils sont, et donc finalement sur la composition chimique, sur les mouvements, etc. Tout cela s’appelle la spectroscopie. La spectroscopie est un des moyens absolument essentiels pour faire de la physique des astres, littéralement de l’astrophysique. Néanmoins, il a toujours été compliqué de faire cela, et j’ai trouvé avec certains de mes collègues, juste après ma thèse, le moyen d’avoir toutes ces informations sur l’ensemble des points d’une image du ciel. C’est très important parce que, grâce à cela, on va voir des objets que l’on n’aurait pas vu en faisant une image (normale). On va aussi comprendre comment ces objets bougent, etc., et l’instrument Muse a permis des découvertes très importantes. C’est un instrument d’une grande puissance et le plus productif en termes de résultats scientifiques et de publication de tous les instruments que l’on trouve sur le VLT (Very Large Télescope) sur le mont Paranal dans le désert de l’Atacama au nord du Chili.
Comment êtes-vous devenu astrophysicien ?
RB : Enfant j’étais quelqu’un d’assez rêveur et j’étais passionné par la science-fiction, et puis à un moment donné j’ai laissé tomber la fiction et n’est plus resté que la science (rires). J’étais passionné l’univers, par ces grands mondes et j’ai voulu y apporter ma pierre. Après j’ai hésité entre différents domaines, mais l’astrophysique était ce qui me convenait le mieux, parce qu’elle permet d’aller dans des observatoires au bout du monde, avec une vision un peu romantique des choses. Je me voyais bien là-dedans et finalement je me suis bien retrouvé (rires)
Prenez-vous le temps d’observer le ciel lors de vos déplacements notamment au Chili ?
RB : Quand on observe avec ces télescopes géants, on est un peu comme dans un sous-marin, des locaux fermés pour éviter la lumière venant de l’extérieur, il y a des écrans partout. On commande tous les télescopes du VLT, c’est très technique. De plus quand on observe avec Muse les images que l’on voit, ça ne ressemble pas du tout à des images d’objet du ciel que l’on connaît. Par ailleurs nous sommes obligés de faire de longues pauses d’exposition, parce que ce que nous observons est extrêmement loin et l’intensité de ces objets est extrêmement faible. Il faut qu’on passe des heures à observer ces objets lointains. Et une fois que la pause est lancée, je prends ma veste, je sors la plate-forme et là je me régale. Depuis quelque temps je m’amuse à prendre des photos du ciel sublime que l’on voit depuis le mont Paranal, je me suis même acheté un bon appareil photo et je passe beaucoup de temps à essayer de faire de belles photos de la Voie lactée. Je ne suis pas à proprement parlé un astronome amateur comme beaucoup de mes collègues, mais j’ai toujours été fasciné par le ciel.
Propos recueillis par Lionel Sabot