Nicolas Matthéos : « Les gendarmes ont évité la guerre civile »

Il incarnera à jamais celui qui fut un rempart contre les violences insurrectionnelles qui se sont abattues sur le territoire. Après un premier passage en tant que commandant de la compagnie de Nouméa, de 2004 à 2007, le général Nicolas Matthéos a dirigé les forces de gendarmerie sur l’ensemble du territoire ces trois dernières années. Sans relâche, il aura géré le maintien de l’ordre public, tenté de faire reculer la délinquance du quotidien et, surtout, été aux avant-postes pour éviter que la République ne vacille face aux émeutiers. Sa connaissance du monde calédonien et de sa population, son profil expérimenté et proche de ses hommes, ont constitué de précieux atouts pour incarner cette fonction aussi stratégique que sensible. Demain matin, Nicolas Matthéos remettra symboliquement le drapeau de la gendarmerie nationale à son successeur, le général François Haouchine. À quelques jours de son départ, il livre un regard lucide sur l’état du territoire, sans esquiver aucun sujet.

Les violences insurrectionnelles du 13-mai

LVDC : Un an après les violences insurrectionnelles, comment se portent aujourd’hui les gendarmes ?

J’ai entamé une tournée d’au-revoir ces derniers jours dans les brigades et les différentes unités. Je peux vous assurer que les gendarmes vont bien. Vous savez, pour les gendarmes, la mission est considérée comme sacrée, c’est notre identité. Ils sont conscients de leurs devoirs, ils remplissent leurs missions. Il est vrai, en revanche, que beaucoup ont pu être marqués parce qu’ils ont vécu l’année dernière. J’ai donc pu voir qu’il y a, à la fois, un mélange de fierté d’avoir réussi à maintenir la République en Nouvelle-Calédonie et d’avoir rétabli l’ordre. Mais aussi, une certaine tristesse parce que la gendarmerie est profondément attachée à ce territoire et que nous avons été sidérés, au moins au début, par cette flambée de violence. Nous sommes aussi attristés et inquiets de voir que la situation ne s’améliore pas aujourd’hui. La légitimité de la gendarmerie sur ce territoire, elle vient aussi du fait qu’on partage profondément l’histoire du peuple calédonien, dans les moments les plus douloureux et pénibles.

LVDC : Avez-vous compris comment il avait pu être possible que des gendarmes, intégrés dans la société, et notamment auprès des Kanak, soient si durement attaqués ? Je pense notamment à l’assaut de la brigade de l’île des Pins ou encore à celle de Hienghène qui a été assiégée…

C’est vrai que c’est un des mystères. Les gendarmes étaient plus que intégrés : ils faisaient partie de la famille. C’est comme ça que nous le voyons. Quelques jours avant l’attaque de la brigade de l’île des Pins au début du mois d’avril, j’étais auprès des gendarmes. Je voyais le commandant être accueilli partout avec beaucoup de respect et d’amitié. La situation était similaire à Hienghène. Il y avait un esprit de famille. Et puis brusquement, une partie de la population s’est retournée contre nous de manière très violente. Ce fut très dur à vivre pour nos gendarmes et pour les familles qui ont dû être évacuées. Les gendarmes n’ont pas forcément compris. Nous avons posé la question et on nous a répondu qu’on n’avait rien contre nous, qu’on faisait la différence entre les gendarmes et les hommes mais que la gendarmerie marque la souveraineté de la France contre laquelle certains s’opposent. Oui, il y a eu beaucoup de dépit de la part de ces gendarmes et de leurs proches. Aujourd’hui, ce dépit a été surmonté. À l’île des Pins comme à Hienghène, les relations ont repris. Les équipes ont changé aussi, c’était important. Mais c’est vrai, que ce fut un moment difficile. Comme si la confiance qui avait été de part et d’autre n’existait pas, comme si quelque chose s’était cassé.

LVDC : Diriez-vous que la gendarmerie a évité une guerre civile ?

Ce qui est certain, c’est que si l’État n’avait pas apporté une réponse ferme et massive, les tentations de basculer dans la violence auraient été nombreuses. C’est en cela que les gendarmes ont évité une guerre civile. Nous avons vite compris que si notre réponse était faible, la tentation de l’autodéfense aurait été encore plus forte. Le contrat qui nous était confié était de rétablir l’ordre. Mais pas n’importe comment. L’ordre républicain passe par la fermeté, par la détermination, cela passe aussi, et peut-être surtout, par la maîtrise de la force qui nous est confiée. Je le dis et je le répète, cette force ne peut pas devenir de la violence parce que c’est la légitimité de la gendarmerie, mais c’est aussi la légitimité de l’État. Nous savions que rétablir l’ordre républicain allait être difficile et long. Ce fut douloureux. Deux de nos camarades sont morts, 550 autres ont été blessés. En tout cas, nous avons rempli le contrat puisque la situation a été stabilisée.

LVDC : La France a-t-elle vacillé dans les premiers jours des émeutes ?

Je rappelle que les premiers troubles que nous ayons eus à connaître se sont déroulés le 9 mai avec des tirs par armes à feu sur la brigade du Mont-Dore. La France est forte, elle n’aurait pas pu basculer en Nouvelle-Calédonie. Il en était hors de question. Si des actions violentes avaient été entreprises contre les représentations de la souveraineté de la France, il aurait fallu y répondre. Et nous y aurions répondu avec toute la force nécessaire. Je ne pense donc pas que la France a été menacée. Ce qui a été fragilisée, c’est la paix.

LVDC : Aviez-vous anticipé un tel embrasement ? Est-ce qu’il y a eu une faille dans l’appareil sécuritaire de l’État ?

Non, je crois que c’était difficile, sûrement même impossible, d’anticiper la nature des difficultés auxquelles nous avons été confrontés. Certes, nous constations bien qu’il y a une partie de la jeunesse qui est complètement perdue et qui peut être manipulable assez facilement. Elle a, en tout cas, été manipulée. Cette jeunesse se fourvoie car elle manque complètement de repères. Elle pense trouver dans la violence, une réponse à ses problèmes. Je ne crois pas non plus qu’il y ait eu des défaillances de l’État. Nous avons fait ce que nous pouvions avec l’évaluation de la situation dont nous disposions à ce moment-là.

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Propos recueillis par Jean-Alexis Gallien-Lamarche

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