Un « grossiste » en herbe de cannabis pourrait s’en tirer grâce à un vice de procédure

La cour d’appel de Nouméa est appelée à se prononcer sur la légalité d’une enquête qui avait révélé un important trafic de drogue entre Houaïlou et Nouméa. Point de départ de ce dossier, un contrôle d’identité effectué par un gendarme, que les avocats de la défense considèrent comme « illégal ».

Le match aller avait tourné à l’avantage de la défense, mais tout est remis en jeu pour la seconde manche. La cour d’appel de Nouméa s’est penchée sur un important trafic de stupéfiants entre Houaïlou et Nouméa, au cœur duquel gravite un homme de 41 ans, considéré comme un « grossiste » en herbe de cannabis. Plus que sur les faits en eux-mêmes, les magistrats devront se prononcer sur la légalité de la procédure contre laquelle les avocats de la défense ont joué leur va-tout.

L’affaire avait déjà pris des airs de fiasco judiciaire en septembre dernier lorsque les conseils avaient soulevé des exceptions de nullité devant le tribunal correctionnel de Nouméa, qui s’était rangé à leur avis. Un vice de procédure avait conduit les magistrats à annuler l’ensemble du dossier. Pas de procédure, donc pas de charges : la relaxe pure et simple était inévitable. Le quadragénaire et un complice (revendeur) avaient ainsi échappé aux poursuites. Un camouflet pour le parquet qui avait interjeté appel au dernier moment.

Voilà donc le dossier de retour devant les magistrats d’appel, qui ont assez brièvement examiné les faits. Le 9 juin 2024, un homme de 36 ans s’apprête à traverser la route dans le quartier de Ducos (Nouméa) lorsqu’un véhicule de gendarmes mobiles s’arrête à sa hauteur. Les forces de l’ordre procèdent à un banal contrôle d’identité. Le piéton leur tend sa carte d’identité, mais le contenu de son sac à dos les intrigue. L’odeur, surtout, laisse peu de place au doute. À l’intérieur, sept sachets de cannabis, d’un poids total de 35 grammes, sont retrouvés. Le piéton est immédiatement interpellé puis placé en garde à vue au commissariat. C’est le premier acte d’une procédure en apparence banale mais qui pourrait faire vaciller toute l’enquête.

« Les règles de forme sont les remparts contre l’arbitraire »

C’est bien tout le nœud de ce dossier. Les gendarmes se sont-ils mis dans l’illégalité en procédant à ce contrôle d’identité ? Sur quelle base a-t-il été motivé ? En étudiant le dossier, les avocats Mes Barbara Brunard et Olivier Mazzoli ont relevé ce qu’ils considèrent comme une irrégularité de droit : le contrôle d’identité du piéton n’aurait pas été réalisé par un officier de police judiciaire (OPJ) ou par un agent de police judiciaire (APJ) sous le contrôle d’un OPJ, comme le stipule le Code pénal. « Nous considérons que l’agent interpellateur, à savoir un gendarme mobile, n’avait pas l’habilitation nécessaire. Ce sont des spécialistes du maintien de l’ordre, mais ils ne sont en aucun cas des agents habilités à réaliser des contrôles d’identité. Nous sommes en présence d’un contrôle d’identité d’initiative qui ne peut se faire, et les textes sont clairs, que par un OPJ. Le cadre juridique n’a pas été respecté », a plaidé Me Barbara Brunard. Un axe de défense que Me Olivier Mazzoli a partagé, affirmant qu’un « sous-officier de la gendarmerie mobile ne peut pas procéder à un tel contrôle en dehors de toute habilitation. Vous, cour d’appel, vous êtes les garants des libertés publiques. Et les règles de forme sont les remparts contre l’arbitraire ».

L’avocate générale Claire Lanet s’est dite « opposée » à ces nullités, considérant que la situation en Nouvelle-Calédonie était « spécifique » : « Les gendarmes mobiles sont le plus souvent habilités OPJ. Nous avons produit une pièce du ministère de l’Intérieur. Ce gendarme avait le droit de procéder à ce contrôle, de passer en flagrance et de mettre le suspect à disposition des policiers au commissariat. »

« Un contrôle d’identité au faciès »

Mais les avocats ont continué à exploiter cette faille procédurale pour tenter de convaincre les magistrats de la cour d’appel. « Si vous estimez que le défaut d’habilitation n’est pas suffisant », a poursuivi Me Brunard, « vous considéreriez que les motifs du contrôle sont en total mépris avec toutes les règles de procédure pénale. »

Car les conditions sont strictes pour qu’un policier ou un gendarme puisse mener un contrôle d’identité : en cas de suspicion de commission d’une infraction, sur réquisition du procureur ou dans le cadre de l’accord de Schengen, aux abords des frontières. « Cette personne n’avait aucun comportement suspect ou de nature à laisser penser qu’elle allait commettre un délit. Elle ne faisait que marcher au bord de la route. Et le simple fait de changer de direction à la vue d’un policier ou d’un gendarme ne suffit pas à motiver un contrôle d’identité », a décrypté Me Mazzoli. Et sa consœur Me Brunard d’enfoncer le clou : « C’est clairement un contrôle d’identité au faciès et cela ne peut pas être valide. Si vous annulez cette pièce, c’est toute la procédure qui tombe, car il s’agit du support de l’ensemble de la procédure. »

Le tribunal correctionnel en avait été convaincu. La cour d’appel a choisi de prendre le temps pour délibérer. La défense saura le 22 juillet prochain si ses arguments ont fait mouche.


Des profits de plusieurs millions de francs

L’interpellation anodine d’un piéton de 36 ans, à Ducos, en juin 2024, a permis de remonter jusqu’à « un gros poisson » du trafic de cannabis en Nouvelle-Calédonie. En garde à vue, le trentenaire avait avoué qu’il revendait de la drogue à une vingtaine de clients réguliers pour un revenu mensuel estimé à 300 000 francs. Il s’était lancé dans le deal après que lui et sa femme ont perdu leurs emplois. S’il s’est montré coopérant avec les enquêteurs, c’est surtout son téléphone qui a beaucoup parlé. Car son exploitation a permis d’engager une enquête aux ramifications bien plus larges. Les policiers découvrent ainsi qu’il échange régulièrement avec son fournisseur, un homme bien connu de la justice. Ce père de famille de 41 ans, déjà incarcéré par le passé pour trafic de stupéfiants, est considéré comme « un grossiste » d’herbe de cannabis, capable d’écouler rapidement d’importantes quantités. Le 11 juin, ce suspect est arrêté dans sa maison de Rivière-Salée, sous les yeux de ses enfants. La perquisition permet de saisir 200 grammes de cannabis, plus de deux millions de francs en liquide et un carnet de comptes détaillant l’étendue de son trafic. Les policiers ont alors compris que derrière cette vie en apparence rangée – un emploi stable pour lui et sa femme, des enfants etc. –, le quadragénaire dirigeait, en parallèle, un réseau de revente : il achetait en gros à des producteurs de la région de Houaïlou avant de redistribuer la marchandise à des revendeurs de Nouméa et de l’agglomération. Les enquêteurs ont estimé qu’il avait réalisé un bénéfice de plus de cinq millions de francs en à peine trois ans. « C’est un trafic d’envergure qui a généré des sommes importantes », a pointé l’avocate générale Claire Lanet. « La vente de cannabis conduit à des ravages dans notre jeunesse, il ne faut pas banaliser sa consommation. » À l’encontre du « grossiste », le ministère public a requis trois ans de prison dont deux ans avec sursis (en récidive, il encourt vingt ans). « Ne croyez pas qu’il reste dans son canapé à piloter un trafic et à voir défiler devant lui des liasses de billets. Ce n’est pas la réalité. Oui, il est retombé dans ses travers pour arrondir les fins de mois. Il a failli tout perdre et il l’a bien compris. Il ne recommencera plus », a défendu Me Brunard. L’un de ses revendeurs « a cédé à la facilité », observe Me Mazzoli, « car c’est un gros consommateur et qu’il n’y avait plus aucun revenu dans le ménage ». À son encontre, l’avocate générale a réclamé une peine de deux ans de prison, dont un an avec sursis.



Jean-Alexis Gallien-Lamarche

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