Depuis deux ans, notre grand-mère maternelle est dans une maison de retraite, en Métropole. Au bout de quelques mois dans cette nouvelle maison qu’elle aime tellement moins que la sienne, elle a perdu son mari, son amour de toujours, Claude. On décolle ce soir, revoir Ida, un an et demi après notre dernière visite. « Maminette », surnom hérité d’une petite taille doublée d’une immense gentillesse, pleurera de joie de nous revoir, nous reprochera, avec raison et que nos pardons ne sauront excuser, de ne pas avoir assez pris de ses nouvelles, et avant, certainement, de nous demander de l’aider à s’évader de cette « prison », elle nous interrogera, cherchera à savoir comment on va, vraiment : les anciens savent lire derrière un sourire forcé. Dans sa chambre, individuelle, avec vue sur un parking en gravier bordé d’une pelouse tondue (pas par elle, avec un déambulateur c’est fastidieux) en tracteur avec rigueur, elle a la télévision, a donc vu une partie de ce qu’il s’est passé en Calédonie depuis le 13 mai. Mais, privilège de la vieillesse, s’en souvient-elle ? On réfléchit encore à lui dire la vérité, à prononcer les mots clés : politique, dégel, CCAT, embrasement, barrages, racisme, violences, destructions, morts, pénuries, Centaures, justice, Bichou, Mulhouse… On ne sait pas mentir, mais pour la rassurer possible que pour une fois on s’y risque, l’embarquant alors dans un récit fictif et enjolivé des six mois que nous n’avons pas vécus : une super Foire de Bourail, un 14 juillet et un 21 septembre festifs, des milliers de touristes du monde en entier… « Mamie, tu as vu des images de toute la cavalerie (Macron, etc.) venir à Nouméa ? Oh, mais c’était pour leurs vacances, ça. Sois tranquille pour ton petit-fils, ton arrière-petit-fils et son petit chien, tout va bien en Calédonie. Globalement, il n’y a que des gentils. » La dernière phrase, on la lui répète depuis huit ans. Jusque-là, on n’avait pas besoin de mentir.
Anthony Fillet