« Si je n’avais pas eu le casque… »

Jugé lundi après-midi en comparution immédiate, Dominique O., 18 ans, a été condamné par le tribunal correctionnel de Nouméa à dix-huit mois de prison ferme. Six jours plus tôt, le 13 août à Poya, il a blessé deux gendarmes : une militaire a notamment perdu connaissance après avoir reçu un caillou au niveau du front, heureusement protégé par son équipement.

Me Anne-Laure Dumons tente le coup : « un haut noir et une cagoule verte », les habits de l’agresseur désigné ce jour-là, c’est répandu ici, cela ne prouve donc rien. « Je suis consciente que ce dossier est gravissime, ajoute l’avocate, mais vous ne pouvez pas vous permettre, au prétexte d’avoir une justice rapide », de mener « une justice expéditive, punitive. Le but de la justice, c’est de retrouver qui a lancé » la pierre qui a mis K.-O. une gendarme de 27 ans, le 13 août sur la côte Ouest. « Il n’y pas eu de confrontations » avec d’autres insurgés, « pas eu de planches photographiques ». Sur cette « terrible agression (…) vous n’avez rien » contre ce prévenu, 18 ans depuis un mois, lycéen en terminale de gestion des milieux naturels et de la faune, fils d’un « minéralier », casier judiciaire vierge, célibataire, sans enfant et souhaitant intégrer le RSMA pour y passer son permis de conduire. « Ce jeune homme a un bel avenir », imagine Me Dumons.

Le substitut du procureur, Richard Dutot, est moins enthousiaste. Pour des « faits gravissimes », il requiert trois ans de prison ferme contre cet « individu très violent, même dangereux », qui à l’audience « ne fait pas bonne figure » : « Je n’ai pas vu une larme, c’est lamentable, ça cause des frissons dans le dos ». Dès lors, « il est cuit ». Ce n’est pas la corpulence qui fait la puissance, relève-t-il. 1,65 m et 60 kg ? Pas incompatible avec le fait de blesser gravement une militaire par lance-pierres. « Ce n’est pas forcément les bodybuildeurs qui sont les plus forts et les plus endurants, il suffit de voir les légionnaires le matin à 7 h 30… Il faut toujours se méfier des apparences, l’habit ne fait pas le moine », ajoute le représentant du ministère public, observant avec attention ce prévenu vêtu d’un large t-shirt sombre, cheveux courts, regard apeuré. Timide dans le box, il ne s’exprimera quasiment pas durant l’heure et demie d’audience.

Les deux gendarmes blessés ont été moins timides : ils sont venus, à la barre, confier la peur ressentie ce jour-là, et l’« appréhension » qu’ils ont depuis.

Un air d’Afghanistan

Deux commandants ont tenu eux aussi à contextualiser les faits. Ils racontent qu’en début d’après-midi ce mardi 13 août, il est signalé, sur une RT1 entravée, des vols sur des automobilistes. Près d’une centaine d’« individus venant des tribus », « très mobiles » et « hostiles », font « reculer les gendarmes ». Des renforts sont demandés en urgence, ils arrivent. Désormais plus nombreux, les militaires reprennent « assez facilement » le contrôle. L’opération se prolonge sur une route menant à des tribus. Une portion d’un kilomètre, « à découvert », exposent les gendarmes. Un groupe de six militaires, divisé en trois duos, se déploie sur la largeur. Des insurgés viennent régulièrement « au contact », à moins de vingt mètres, principalement deux, dont un porteur d’un haut noir et d’une cagoule verte. Les forces de l’ordre entendent des pierres siffler près de leurs oreilles. « J’ai dit : ‘’la prochaine, elle peut faire très mal’’ » si elle percute une tête. « Ça n’a pas loupé… », raconte la gendarme, touchée en plein casque, au niveau du front. Elle titube, envoie une grenade de défense puis s’écroule. Ses cinq collègues, dont un supérieur, se précipitent pour lui porter secours, tout en essayant de « maintenir la position », sous les insultes, les menaces et les projectiles, envoyés par des émeutiers parfois « cachés dans les arbustes ». Un air d’Afghanistan à Poya. La gendarme est transportée, par quatre collègues, sur un bouclier de défense jusqu’à une zone dans la végétation, puis déposée dans la benne d’un pick-up, direction l’hôpital de Koné. Elle sera restée inconsciente « entre quinze et vingt minutes », ses collègues craignant à ce moment-là qu’elle ne se réveille jamais. Elle a passé deux scanners, doit en faire d’autres, à Nîmes, d’où vient son peloton de gendarmes mobiles. Elle a encore « un voile » et « des points noirs » devant les yeux, « des étourdissements, des nausées », plus une « grosse appréhension de dormir sur le territoire ». Son départ est imminent. « Avec du repos ça va le faire », se persuade-t-elle, lunettes barrant un visage fermé. « Si je n’avais pas eu le casque, je pense que je ne serais plus là », résume-t-elle. Les deux heures précédant le choc, elle se souvient avoir entendu de nombreuses insultes. Beaucoup dirigées contre elle. « Parce que je suis une femme », dit-elle. Ainsi ont fusé des « je vais te violer », « je vais te tuer » et « on est des chasseurs, on sait tuer ».

« À quelle époque sommes-nous revenus ? »

Malgré cette blessée grave côté gendarmes, les insurgés poursuivent leurs actions de harcèlement sur les forces de l’ordre, qui répondent. Au coucher du soleil, un individu porteur d’une cagoule verte est interpellé par un militaire qui s’était écarté de ses collègues. Et voilà qu’il se retrouve seul avec le jeune émeutier, qui se débat au sol et lui donne des coups. Le gendarme entend son adversaire crier : « Venez m’aider, venez m’aider, il est tout seul… » Surgissent alors des personnes, qui jettent des cailloux. Certaines sont armées d’une barre de fer… Le militaire hurle à son tour pour demander des renforts. L’issue « aurait pu être dramatique ». En cinq ans de carrière, « c’est la première fois que j’ai ressenti une certaine peur », dit ce jeune professionnel, 26 ans.

Leur avocate, Me Nathalie Lepape, souligne que « ce sont des mots martiaux » qui sont utilisés par les gendarmes, qui parlent de « manœuvres » ou encore d’« adversaires ». Cela illustre que la Calédonie aujourd’hui, « c’est un état de guerre, de siège ». « Ces gendarmes sont exemplaires », et celle touchée à la tête, « cette femme à qui on a volé un quart d’heure de sa vie » et qui « n’est plus tout à fait la même depuis », aujourd’hui « elle culpabilise un peu parce qu’elle va laisser ses camarades au front ». La guerre, toujours. Et ses horreurs, comme ces menaces de viol. « Dans quel monde vit-on, et à quelle époque sommes-nous revenus ? », s’étrangle l’avocate.

Dominique O. justifie son action ainsi : les gendarmes, « ils rentrent chez les gens, ils tirent des grenades » alors qu’« il y a des enfants là-bas, il y a des jeunes qui sont malades », donc il a « jeté des cailloux » pour faire « comme les autres », pour s’« amuser ». Le président essaie de le ramener à la réalité : « Vous n’avez pas mieux à faire, vous n’avez pas un bac à préparer ? ». Ce sera depuis sa cellule au Camp-Est.

Anthony Fillet

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