Depuis le 13 mai dernier, la Nouvelle-Calédonie vit au ralenti après l’attaque tous azimuts de l’économie par les émeutiers de la CCAT. Déjà mal en point le territoire aura beaucoup de mal à se relever. Mais en essayant de faire un peu de prospective, on est en droit, bien légitimement de se demander, si le plus dur n’est (malheureusement) pas devant nous.
Pour le mois de mai, ce sont quinze jours de travail qui ont été perdus ou plutôt mis entre parenthèses. À la fin de ce mois, alors que les salaires sont en cours de règlement, les fiches de paye ressemblent peu ou prou à celles du mois précédent. Il semble en effet que les chefs d’entreprises ont pu jongler, qui avec les congrès payés, qui avec des mesures de chômage. Mais à la fin du mois de juin ? Comment les choses vont-elles se passer ?
Selon certains chiffres encore provisoires, ce sont plus de 600 entreprises de toutes tailles qui ont été touchées à différents niveaux par ceux que l’on appelle pudiquement les émeutiers pour éviter de dire terroristes. 600 entreprises et bien évidemment des milliers d’emplois (7 000, et sans doute bien plus) qui ont été partiellement ou totalement perdus. Et de très nombreuses entreprises n’ayant été ni détruites, ni brûlées, ni pillées, sont en grande difficulté pour cause de cessation ou de ralentissement de l’activité et ne pourront assurer le paiement des salaires.
Derrière les chiffres, il y a des hommes, des femmes, des enfants, des familles, nos vieux. Comment les choses vont-elles se passer à la fin du mois de juin, lorsque tous ces sinistrés de l’emploi vont se retrouver sans paye, sans rien ? Sans le sou alors que les loyers, l’eau, l’électricité, les traites pour la voiture, etc., vont continuer à tomber. Comment tous ces sinistrés vont-ils faire pour tout simplement nourrir leurs enfants, leurs familles ? Peut-être devrions-nous nous interroger dans ces temps obscurs. Depuis un mois, la Nouvelle-Calédonie vit dans une sorte de parenthèse. Le temps semble s’être arrêté, et la « reprise » ne se fait que très très progressivement. Méfions-nous du moment où le temps reprendra un cours « normal », le « jour d’après » risque d’être bien plus dur que ce que nous imaginons, pour peut-être tenter de nous rassurer, comme nous le pouvons. Les aides promises et annoncées ne seront sans doute pas suffisantes et des milliers d’hommes et de femmes, des milliers de famille vont se retrouver sur le bord du chemin.
Rien ne va plus…
Depuis le début de la crise, la vie des Calédoniens ne se fait plus dans l’anticipation, mais bien heure après heure. Nous avons peut-être un peu oublié qu’avant le funeste 13 mai 2024, la situation par exemple du secteur nickel n’était pas, et c’est bien le moins que l’on puisse dire, brillante. Aujourd’hui KNS est en pause, les fours sont maintenus chauds en attendant un éventuel repreneur avant le mois d’août, la SLN survit on ne sait pas trop comment ni avec quel minerai pour remplir ses fours, et dans le Sud, Prony Ressources a déclenché il y a quelques jours son son plan particulier d’intervention (PPI), un plan visant à assurer la protection des populations, des biens et de l’environnement. Une conséquence sans doute des nombreux actes de vandalisme et de détérioration du site ces dernières semaines. Avant le 13 mai, et ce n’était un mystère pour personne, nous savions que la perte d’une usine de nickel serait une catastrophe pour la Nouvelle-Calédonie. Avant le 13 mai, nous nous demandions comment nos régimes sociaux allaient « absorber » plusieurs milliers de personnes sans emploi, et la CAFAT s’en inquiétait. Moins d’emplois, c’est moins de cotisations sociales et donc par ricochet tout le système de retraite et de santé qui risque de s’effondrer. On s’inquiétait pour 2 000 – 2 500 personnes sur le carreau, aujourd’hui et alors qu’aucune usine n’a encore mis la clé sous la porte, ce sont déjà 7 000 personnes au moins qui se retrouvent sans emploi, 7 000 cotisants de moins, et des dizaines de libéraux de santé, des dizaines de médecins, d’infirmiers, d’aides-soignants du CHT qui s’inquiètent de savoir si la CAFAT et l’aide médicale les paieront dans les semaines et les mois qui viennent.
Un calme trompeur ?
Un pays sans économie, sans système de santé et avec un système éducatif plus que chancelant, ce n’est pas un pays, c’est le néant. En parlant d’éducation, pouvons-nous penser une seule seconde que le retour en cours va se faire tranquillement dans les prochains jours ? Les communautés qui devraient faire la richesse de la Nouvelle-Calédonie sont aujourd’hui plus que jamais divisées. Rien de sera plus jamais comment avant le 13 mai 2024. Car si nous « apprécions » cette période d’accalmie, personne de doit être dupe, ce n’est qu’une accalmie. Certains expliquent que nous sommes dans l’œil du cyclone, le coup d’ouest de la fin de mois du juin risque d’être violent, mais encore faut-il avoir conscience de tout cela et ne pas faire l’autruche à ce moment critique.
Lionel Sabot