Quatre jeunes gens de Thio ont été condamnés pour avoir provoqué un grave accident de la route, en mai 2022, avant de laisser les victimes sans soins alors qu’elles les imploraient de les aider. Ils avaient même mis le feu à la voiture volée au risque que tout s’embrase.
Ils leur ont tourné le dos, sans un mot ni un geste, alors qu’on les implorait de les aider. Pire, ils ont même voulu incendier leur véhicule, encastré dans celui des victimes, au risque de les transformer en torche humaine. Juger un dossier d’homicide involontaire n’est jamais chose simple pour le tribunal correctionnel de Nouméa. Parce que des familles sont brisées, parce que des personnes porteront les stigmates des blessures jusqu’à la fin de leurs jours, et parce que la peine semble être souvent accessoire à côté du chagrin et du poids de la culpabilité que portent les chauffards.
Le dossier évoqué par la juridiction vendredi matin est encore un cran au-dessus : dans la nuit du 15 mai 2022, deux voitures volées circulent à toute vitesse sur les routes de Thio. Elles se tirent la bourre et ne se soucient guère des autres automobilistes qu’elles pourraient croiser. Et justement, à la sortie d’un virage à quelques centaines de mètres du pont Jeanne-Marie, l’un des véhicules volés se déporte sur la gauche et vient percuter frontalement une voiture avec à son bord un couple et un ami. Ils portaient la ceinture de sécurité, respectaient les limitations de vitesse et n’avaient rien demandé à personne. Surtout pas, de voir leur existence gâchée pour toujours. Dans un fracas terrible, les deux voitures s’encastrent. « Juste avant le choc, j’ai fermé les yeux. J’ai imploré le Seigneur. Quand j’ai ouvert les yeux, mon ami était inconscient et Carmella ne répondait pas. J’ai compris qu’elle était morte », témoigne un survivant.
« On ne voulait pas mourir cramés »
Cet homme, qui travaille sur les mines de la SLN à Thio, est mal en point. Son corps est brisé. Il aperçoit alors deux jeunes sortir du pick-up volé. « Je leur ai demandé : “hé, venez nous aider, il y a un mort”. J’ai crié à l’aide trois fois et ils n’ont rien fait. » La victime entend l’un d’eux dire : « c’est des blancs » et les voit s’éloigner. « Ils ne pensaient qu’à se sauver », se souvient-il. Un instant plus tard, la seconde voiture volée arrive sur les lieux de l’accident. Deux frères en sortent. Eux non plus n’auront pas un geste pour les personnes blessées. Pire, tous les quatre ont une idée morbide.
A la hâte, ils arrachent de l’herbe séchée en bord de route qu’ils jettent dans l’habitacle du pick-up. L’un d’eux – aucun n’assumera ce geste – tend son briquet, sa flamme lèche le plastique de l’airbag. Ça s’embrase en un rien de temps. Et les voleurs prennent la fuite, laissant derrière eux un mort, deux blessés graves et une voiture incendiée avec le risque que tout s’embrase. « On ne voulait pas mourir cramés dans la voiture », témoigne une victime. Malgré les os en miettes, il réussit à s’extirper de la voiture et à éteindre le feu avec une serviette.
« La nausée en refermant le dossier »
Le conducteur responsable du choc frontal explique avoir été « sonné » et « paniqué » en sortant du pick-up. « J’ai eu peur que ce soit un vieux de la tribu et qu’il nous astique. On est parti le plus vite possible et je n’avais pas de portable pour appeler les secours. » Au fil des jours suivants, les quatre jeunes sont interpellés. Tous assurent avoir essayé de porter assistance aux victimes. Mais ça ne colle pas avec les éléments du dossier. Ils mentent. Ils finissent par le reconnaître devant le tribunal. « C’est difficile pour les victimes de comprendre l’attitude de ces jeunes », résume l’avocate Me Claire Levieil. Sa consœur, Me Servane Garrido-Lucas, dit avoir eu « la nausée en refermant le dossier ». Elle évoque « le fossé immense » entre « la résilience des parties civiles » et « l’absence totale d’empathie des auteurs, le détachement, une espèce de sauvagerie dans le risque de faire brûler des gens coincés à l’intérieur de la voiture ».
« Ce sont des voyous »
Un comportement et un passage à l’acte qui interrogent également le procureur de la République, Richard Dutot, et qui justifient, à l’entendre, des peines exemplaires : sept ans de prison pour le chauffard (homicide involontaire, recel de bien et non-assistance à personne en danger) et d’un à quatre ans de prison pour ses compagnons. « Ce sont des voyous » qui étaient « prêts à faire trois morts pour s’enfuir. Ils entendent les râles des victimes et ne bougent pas ». Seul le conducteur est défendu par une avocate. Me Céline Joannopoulos est abasourdie par le quantum des peines requises, « totalement hors de la jurisprudence habituelle ». Son client « reconnaît sa responsabilité dans le choc frontal » mais il ne pouvait rien faire pour les victimes. « Il avait le genou cassé, il ne pouvait plus bouger. Il a demandé à ses amis d’aider les victimes mais il ne pouvait pas faire plus », affirme-t-elle. Lui qui a échoué à l’examen du permis de conduire la veille de l’audience est finalement condamné à cinq ans de prison, dont quatre ans avec sursis probatoire et un bracelet électronique pour purger la partie ferme. Son chef de bord écope d’un an ferme.
Quant aux deux frères, absents au moment du délibéré, ils ont été sanctionnés de dix-huit et vingt-quatre mois de prison ferme. Le tribunal a décerné un mandat d’arrêt à leur encontre. Ils sont désormais activement recherchés par la justice.
Jean-Alexis Gallien-Lamarche