Pour qualifier le phénomène des violences intrafamiliales, le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, a eu des mots forts, jeudi en fin de journée, devant des représentants du monde judiciaire, des élus et des membres des forces de l’ordre.
Sa prise de parole était attendue, entre autres parce que l’ancien ténor du barreau a une voix qui porte et le sens de la formule. Il n’a pas déçu, s’exprimant durant une quinzaine de minutes, face à une assemblée (une trentaine de personnes) captivée, écoutant attentivement. Malgré la chaleur régnant dans cette petite pièce (la climatisation tournait pourtant à fond), mettant en souffrance le garde des sceaux (qui échangeait des regards avec les membres de son équipe pour leur signaler sa détresse), Éric Dupond-Moretti a eu des paroles justes.
« Les violences intrafamiliales, c’est un fléau national… Cette lutte est l’une des grandes causes du quinquennat », a-t-il entamé. « Depuis 2019 », date à laquelle s’est tenu, au niveau national, un Grenelle sur le sujet, « force est de constater qu’on a fait beaucoup de progrès. Mais force est de constater que le travail est loin d’être fini », a-t-il souligné, listant les mesures prises dernièrement : « le bracelet anti-rapprochement, le téléphone grave danger, la formation des enquêteurs, la formation des magistrats… » Indispensable, car « il fut un temps où nous n’avons pas été à la hauteur de ces violences. On entendait des choses qui étaient lunaires », du genre « ‘’ne vous inquiétez pas, ça va s’arranger’’, ou encore ‘’rentrez chez vous, tout va bien’’ ». Conséquence : « on a eu de vrais drames. Je me souviens d’une affaire dans laquelle six dépôts de plainte n’ont pas été suivis d’effet », note le ministre. « On n’avait pas, je le crois, mesuré à quel point c’était un fléau social. Nous avons fait d’énormes progrès sur ce point. »
« Une question qui doit nous préoccuper tous »
« L’autre point » d’amélioration notable, « c’est la libération de la parole. Et ici, mais comme ailleurs, il faut encore qu’il y ait beaucoup de progrès parce que, pardon de le dire, la justice ne peut pas s’autosaisir d’une situation dont elle n’a pas connaissance. Elle ne peut intervenir que si on a des signaux », qu’ils soient « forts » ou « faibles ». Éric Dupond-Moretti déroule son argumentaire : « C’est une question qui doit nous préoccuper tous. Le voisin qui se bouche les oreilles pour ne pas entendre les hurlements de terreur de la voisine qui est frappée par son conjoint, ça n’est plus supportable. » Il insiste : « Il faut que toute notre société prenne conscience qu’il n’est plus possible aujourd’hui de ne pas réagir aux violences ».
Ne pas baisser les bras avant que le combat ne soit terminé : voilà la suite du message passé par l’homme politique. « Bien sûr, malgré tout ça on a encore des violences conjugales, mais en même temps notre travail n’est pas un travail inutile », a-t-il rappelé. « Les Espagnols, en ayant mis en place toutes ces mesures dès 2004, ont mis sept ans avant que le chiffre des homicides conjugaux commence enfin à baisser, donc il faut évidemment progresser, il faut continuer. » Dit autrement : « Bien sûr le risque zéro n’existe pas, bien sûr personne n’a de baguette magique, personne ne peut éradiquer un phénomène, aussi délétère soit-il, d’un claquement de doigts. C’est une prise en charge de tout le monde, et il faut que tout le monde s’y mette. »
« Très courageux »
Le ministre a ensuite abordé le futur centre de prise en charge des auteurs de violences intrafamiliales (CPVIF), qui doit ouvrir dans un mois, rue Surcouf, dans le centre de Nouméa. Il est prévu dix chambres individuelles. Les pensionnaires, sous contrôle judiciaire, y seront placés pendant maximum six mois, le temps qu’ils prennent de la distance avec leur ancien(ne) conjoint(e) et qu’ils suivent divers soins. « C’est très courageux de le faire » car « c’est parfois décrié par des gens qui ne connaissent pas la réalité, qui disent : ‘’en plus, il faudrait leur offrir un hébergement !’’ Bah oui, parce que la période la plus dangereuse, la plus critique, c’est celle où le conjoint violent se retrouve viré de chez lui, souvent par décision judiciaire, contrôle judiciaire par exemple. Et comme il considère, avec le machisme qui est parfois le sien, que le domicile c’est son domicile, comme sa femme est sa femme mais au mauvais sens du terme, femme chosifiée, c’est là où c’est dangereux, donc bravo de mettre en place des structures comme celle-là. Bien sûr, il y aussi l’hébergement des victimes » qui doit être assuré en parallèle quand c’est nécessaire. En résumé, « l’idée de ce centre d’hébergement que vous mettez en place est une idée que je ne peux qu’encourager », d’autant qu’il s’agit d’une initiative qui est « très appréciée de l’autorité judiciaire ».
« Bon sens »
Dans cette histoire de lutte contre les violences intrafamiliales, « je crois véritablement qu’on ne peut aller de l’avant, quel que soit le sujet d’ailleurs, qu’en se parlant, qu’en ne restant pas dans notre couloir de nage respectif. L’autorité judiciaire doit partager, et elle le fait, avec les forces de sécurité intérieure, avec la préfecture, avec les intervenants sociaux. » Au passage, « je veux remercier le tissu associatif, sans lequel, je le dis, rien n’est possible. Vous êtes des partenaires absolument indispensables. Et tout cela, ça doit fonctionner ensemble. C’est d’ailleurs le sens des nouveaux pôles que nous avons mis en place dans les juridictions (…) C’est en se parlant qu’on évite un certain nombre de drames. »
Pour améliorer toujours plus la situation, « il y a encore des choses » à inventer. Le projet qui va voir le jour à Nouméa est « quelque chose qui va évidemment dans le bon sens ».
Anthony Fillet