Surpeuplé et insalubre, le Camp-Est a ouvert ses portes à Éric Dupond-Moretti et Gérald Darmanin qui ont constaté les conditions indignes de détention et de travail pour les agents pénitentiaires.
Elle avait été baptisée « la prison de la honte » en 2012. Deux ans plus tôt, des parlementaires français et européens lui avaient décerné la palme de la « prison la plus pourrie de la République ». Une décennie a passé et ce surnom lui colle toujours autant malgré les dizaines de milliards de francs investies par l’État pour rénover les bâtiments.
Au Camp-Est, les 612 personnes incarcérées – le taux d’occupation est de 150% et frôle les 200% à la maison d’arrêt – dont 158 dorment sur des matelas posés par terre, vivent à trois ou quatre dans des cellules de 9 m2 (150 cellules, soit les deux tiers des 239 cellules sont des containers aménagés) dans des conditions qualifiées d’indignes. Ce n’est pas un scoop, le constat est partagé par la Cour européenne des droits de l’homme, la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté et l’Observatoire des prisons depuis bien des années.
C’est dire l’importance que revêtait la visite, dans la matinée de jeudi, du ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti, du ministre de l’Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin et de Marie Guévenoux, la ministre déléguée aux Outre-mer. Un temps coutumier a ouvert les échanges au cours duquel certains agents pénitentiaires, représentant les communautés du pays (kanak, caldoche, vietnamienne, indonésienne, wallisienne et futunienne, tahitienne et antillaise), ont pris la parole pour exprimer leur attachement « à l’uniforme » et leur fierté « de travailler pour l’État » tout en conservant leurs identités propres. « Je suis fier d’être caldoche », s’est ainsi exclamé l’un d’eux qui a posé sur la natte de la coutume, un chapeau de bagnard, un fouet pour guider le bétail et une brique de la pénitentiaire. « Ici, il y a toutes les diversités dans le personnel et ça nous aide au quotidien pour gérer au mieux les détenus », a-t-il poursuivi, les larmes aux yeux.
« Personne ne peut être fier »
Le ministre Éric Dupond-Moretti leur a répondu en saluant « leur engagement au quotidien » pour « faire tenir cette maison dans de très grandes difficultés que nous mesurons tous. Personne ne peut être fier de ces conditions de détention et de travail qui, je l’espère, appartiendront définitivement au passé dans un futur le plus proche possible ».
Entouré de la nouvelle directrice de la prison de Nouville, Diane Chevreau, et du directeur de l’administration pénitentiaire, Laurent Ridel, le garde des Sceaux a parcouru quelques centaines de mètres dans l’établissement avant de franchir la porte de la maison d’arrêt. Là, il s’est entretenu – sans la présence de la presse – avec trois détenus incarcérés dans une cellule pendant plusieurs minutes et sous les cris et insultes des autres prisonniers.
« La communauté pénitentiaire représente la troisième force de sécurité du pays, ce qu’on oublie trop souvent. Vous avez la lourde charge de garder ceux que la justice vous confie », a déclaré plus tard le ministre qui a employé des mots forts : « il faut mettre un terme à l’indignité des conditions de détention. Vos conditions de travail sont rendues bien plus difficiles quand la dignité de l’être humain n’est pas au rendez-vous ».
« Nous avons beaucoup investi »
Après un échange avec des détenus, la délégation a quitté l’enceinte du Camp-Est. La promesse a été faite de la construction au plus vite d’une nouvelle prison. Les agents pénitentiaires ont parfaitement reçu le message. Mais ils devront patienter encore de longues années à Nouville avant de pouvoir travailler à Ducos.
« Ce n’est pas parce qu’il va y avoir une nouvelle structure qu’on va abandonner les travaux au Camp-Est, a souligné Laurent Ridel, ancien directeur du centre pénitentiaire de Nouméa. Nous avons beaucoup investi, refait le quartier d’isolement, construit 80 places pour le centre de préparation à la sortie… » Un projet titanesque de réfection de toutes les cellules est en cours pour un coût de quasiment 300 millions de francs mais la conduite des travaux dans une enceinte occupée ne rend pas la tâche facile.
Il y a cinq ans, le Contrôle général des lieux de privation de liberté avait partagé son émoi, indiquant qu’il était « inacceptable que la situation perdure dans l’indifférence générale ». Désormais, ce sont les détenus eux-mêmes qui dénoncent ce qu’ils vivent. Plus de 500 recours de personnes incarcérées pour « conditions indignes » ont été enregistrés par le juge d’application des peines en 2023 dont 156 ont prospéré, conduisant à des libérations.
Jean-Alexis Gallien Lamarche