Jeudi pour les crabes, ce vendredi pour les picots, les 31 janvier et 1er février sont des dates primordiales dans le calendrier des pêcheurs. Avec elles en effet tombent les interdictions annuelles de prises, instaurées pas des autorités soucieuses de préserver les différentes espèces. Mais il semble que le braconnage ne soit pas le seul danger à craindre. C’est le constat dressé par Mathias, pêcheur originaire de Koné.
Ciel gris, pluie fine depuis la nuit précédente, la météo n’est pas au beau fixe ce jeudi. Et Foué, tribu du bord de mer à Koné n’échappe pas à la règle. L’heure est donc au repos en cette fin de journée pour Mathias. Il prend la mer le lendemain à 4h. Il confie avoir « grandi au bord de l’eau ici » et avoir « toujours fait la pêche ». D’abord avec son père adoptif de qui il dit avoir « reçu tout ça », soulignant les bienfaits de la transmission autant du savoir que du matériel. Et puis seul maintenant depuis quelques années. Il se présente comme « pêcheur de mulets ». Il rapporte qu’« au début je faisais une tonne par semaine et puis je me suis dit que c’était trop alors je suis descendu à 500 kg environ ». Mais tout de même, de telles masses soulèvent la question de la ressource or le constat de Mathias est sans appel : « Les mulets, c’est par tonnes ! Je travaille au filet et je vois ça rien qu’en regardant les boules. Il y en a toujours, malgré qu’on pêche depuis des années. C’est pas comme les picots et les crabes ». Nous y voici. Désignant l’embouchure s’ouvrant à ses yeux, la passe et la haute-mer vers l’Ouest, le solide quadra à l’œil averti affirme que : « là il n’y a que le picot Papillon. Il y en à toujours un peu dans mes prises mais sans plus. Pour trouver picot Kanak et picot Noir il faut aller à Poum là-haut, ou à Népoui, vers le Sud. Là où il y a le sable et le platier ». Quant aux crabes, précise le pêcheur de mulets, « chacun son domaine. Je suis juste aller ramasser quelques-uns avec les enfants pour manger comme c’était l’ouverture. Mais bon ».
Alerte Rouge
On devine la suite avant que Mathias ne l’édicte : « il y en a toujours qui transgressent les règles et qui justifient l’intervention des gardes-nature. Ici on dirait que ça pêche depuis un mois déjà. Les crabes sont petits ». Il rapporte par ailleurs qu’à Népoui, les picots sont victimes de surpêche. Les gens laissent trop longtemps leurs sennes sur leurs passages ». Mais Mathias ne limite pas l’impact environnemental à la seule main néfaste des contrevenants, il cible un facteur « bien plus dangereux », selon ses propres termes : « le réchauffement climatique et la montée des eaux ». En pêcheur aguerri, il a observé que le poisson perdait plus vite en fraîcheur, signe selon lui que « l’eau devient trop chaude pour les poissons. Et les crabes, ils montent toujours plus haut, ils traversent la route. La mangrove devient trop profonde pour eux ». Pour traduire sa préoccupation, sa barrière bâtie avec du bois flotté. Ce sont, dit Mathias, « les arbres que je voyais l’année dernière encore sur pied et qui sont tombés, parce que l’eau ici monte vite. Elle bouffe quatre mètres de berges tous les ans ». Bien sûre il s’inquiète pour l’avenir. En attendant avec Mathias, les mulets n’ont qu’à bien se tenir.
Jack Kogny