Dans une interview exclusive à La voix du Caillou, le ministre de la Justice et garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, confirme la construction prochaine d’un nouvel établissement pénitentiaire qui remplacera le Camp-Est. Il précisera les détails techniques et financiers de ce dossier lors de sa venue en Nouvelle-Calédonie, annoncée pour février prochain. Nouvelle prison, violences intrafamiliales, justice en Calédonie sont les thèmes que nous avons abordés avec le ministre de la Justice.
La construction d’une nouvelle prison, en remplacement du Camp-Est, est un vieux dossier. Peut-on dire aujourd’hui que le projet est définitivement lancé ?
Éric Dupond-Moretti : Je suis très fier d’annoncer la traduction très concrète d’un engagement fort du président de la République pour la Nouvelle-Calédonie en matière de sécurité. J’y suis totalement engagé et grâce au soutien de la Première Ministre, de Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et des Outre-mer et son ministre délégué Philippe VIGIER, je peux vous annoncer qu’il y aura bien une nouvelle prison à Nouméa. Et je vous annonce également que je viendrai en février dans votre beau territoire, pour préciser les modalités de ce projet.
L’État a consenti à des efforts sans précédent pour un territoire de 270 000 habitants : un tribunal aux effectifs, il me semble quasi complets, la construction d’un centre pénitentiaire en province Nord à Koné… Dans ce cadre, qu’estce qui a présidé à votre décision de construction d’un nouvel établissement pénitentiaire en province Sud ?
EDM : La prison du Camp-Est est notoirement très dégradée. Ceux qui en souffrent en premier, ce sont bien sûr les détenus qui n’ont pas des conditions dignes de détention, mais également, et il ne faut jamais les oublier, les surveillants pénitentiaires qui travaillent dans des conditions qui ne sont pas tolérables. Je veux vous dire que sur ce dossier, j’ai eu la grande chance de compter sur un appui déterminant qui est celui de mon ancienne collègue Sonia Backès qui, sans ménager ses énergies, a tout fait pour qu’un terrain viable et aux normes de sécurité soit trouvé. Je veux également remercier Nicolas Metzdorf pour son engagement total. Il ne s’est pas passé une seule séance de questions au gouvernement sans qu’il me demande où nous en étions dans le dossier de la nouvelle prison ! J’ai encore à saluer l’engagement du député Dunoyer qui nous a beaucoup aidés pour que nous puissions aboutir à un projet. Grâce à la mobilisation des élus que je viens de citer, mais aussi de la maire de Nouméa, Sonia Lagarde, on a pu identifier et se mettre d’accord sur le site de Koutio-Koueta, et c’est à cet endroit que se situera la nouvelle prison. Il faut que la Nouvelle-Calédonie bénéficie de structures les plus modernes en termes de détention, permettant de favoriser l’insertion, le travail et la formation professionnelle tant durant la détention qu’à la sortie. Il faut également assurer la fermeté de la réponse pénale. C’est un tout indissociable. Ça doit également avoir pour effet d’améliorer les conditions de travail des personnels, je leur rends toujours hommage, car ils assurent des missions particulièrement difficiles, et je sais les conditions qui sont actuellement les leurs au centre pénitentiaire de Nouméa.
Sait-on ce qu’il adviendra du Camp-Est ?
EDM : Non, il est trop tôt pour cela et, concernant Koutio Koueta, le détail du programme va faire l’objet de concertation avec les acteurs locaux. Il est encore trop tôt pour détailler le projet, je veux d’abord laisser la place à la concertation. Il faut par ailleurs que les services puissent conduire des études pour identifier l’intégralité des besoins et les organisations envisagées au sein de ce futur site pénitentiaire. Vous savez que j’ai fait du travail en détention l’une des priorités de mon action, et je suis convaincu que c’est l’un des leviers principaux, pour ne pas dire le principal levier, pour empêcher la récidive. Même s’il est donc encore trop tôt pour détailler ce volet du projet, je souhaite que ce nouvel établissement intègre pleinement le travail et la formation des détenus, et je n’exclus absolument pas qu’il y ait des ateliers dans la nouvelle prison permettant la réalisation de ce travail pénitentiaire.
Monsieur le Ministre, la Nouvelle-Calédonie n’est pas confrontée à une délinquance lourde comme elle existe en Métropole ou dans d’autres territoires d’Outre-mer. Toutefois, nous faisons face à des fléaux, au premier rang desquels les violences intrafamiliales, dont les dossiers sont légion au rôle du tribunal. Malgré les efforts des associations comme des institutions, de la justice, des forces de l’ordre, on a l’impression que rien ne bouge ni ne change. Que faire et comment faire pour réduire cette délinquance qui fragilise la société calédonienne ?
EDM : Vous faites un constat qui nous impose de regarder ce qui a été fait pour lutter contre ce que vous définissez, et vous avez raison, comme étant un fléau. Moi, je pense que les choses bougent et que les choses changent, et que la justice calédonienne est mobilisée contre ce fléau. Depuis 2021, plus de 700 stages de responsabilisation des auteurs de violences intrafamiliales ont été ordonnés. Nous avons une convention avec l’OPT permettant qu’un dispositif similaire au « Téléphone grave danger » soit déployé. Le bracelet anti-rapprochement a lui aussi été déployé depuis octobre 2022. On a créé au TPI (Tribunal de première instance, ndlr) à Nouméa, un poste de juriste-assistant dédié à la lutte contre les violences intrafamiliales. Nous avons un comité de pilotage consacré à ces violences, il s’est réuni pour la première fois en juin 2022, avec pour objet l’amélioration du traitement de ces violences, en assurant une circulation rapide de l’information entre les différents acteurs judiciaires, associatifs, les services de police et de gendarmerie, et donc une plus grande réactivité. Et les procédures de violences intrafamiliales représentent 30 % des déferrements au parquet de Nouméa, ce qui montre la rapidité et la fermeté de la réponse pénale. Et enfin, comme pour toutes les juridictions hexagonales, depuis que le président de la République a été élu en 2017 nous avons donné des moyens supplémentaires, et la justice en Nouvelle-Calédonie bénéficie de ces moyens. Ça n’est pas fini d’ailleurs, des magistrats et des greffiers ont déjà été recrutés. Dans le cadre de la loi d’orientation et de programmation de la justice, j’ai annoncé l’embauche d’au-moins 1 500 magistrats, 1 800 greffiers, 1 100 attachés de justice jusqu’en 2027. Et en ce qui concerne la Nouvelle-Calédonie, voici les chiffres : 6 magistrats à venir, 2 greffiers et 6 attachés de justice, soit un total de 14 nouveaux postes qui vont être créés. Entre 2017 et 2027, ce sont au moins 12 magistrats et 7 greffiers qui auront été nommés.
Justement, et de manière globale, quels échos avez-vous du fonctionnement de la justice en Nouvelle-Calédonie ?
EDM : Depuis là où je suis, les échos sont plutôt bons, pour les raisons que j’évoquais tout à l’heure sans forfanterie, mais les choses changent et bougent. Les évolutions immobilières permettent que les juridictions soient peu à peu installées dans de meilleures conditions. Les délais de jugement sont relativement bons, et même meilleurs qu’en Métropole. Mais, surtout, les perspectives sont bonnes, car les juridictions, comme je vous l’ai dit, sont considérablement renforcées depuis 2020. Il y avait alors 42 magistrats dans les juridictions, il y en a désormais 48, et d’autres vont arriver d’ici 2027. Pour être très concret et précis, cela a permis que les stocks de dossiers dans les affaires familiales baissent de 27 % depuis deux ans, ce qui est énorme. Ça veut dire quoi le stock ? Tout simplement que les affaires qui étaient en attente sont aujourd’hui jugées, cela permet d’aller plus vite, donc une justice plus rapide, plus protectrice et plus proche. Je viendrai sur place en février pour découvrir de façon précise à quel point cette bonne impression est une réalité. Et, par ailleurs, dans la première loi que j’ai présentée, j’avais porté le « Conseil de l’accès au droit ». Je vous informe donc qu’il va enfin être créé dans les semaines à venir.
En Nouvelle-Calédonie, la justice a pris en compte certains aspects spécifiques à notre territoire, avec par exemple la participation d’assesseurs coutumiers. Pensez-vous que cette initiative puisse être approfondie, en particulier parce que 97 à 98 % des détenus du Camp-Est sont d’origine kanak ?
EDM : C’est un sujet important que d’associer la population à la justice. La justice, c’est notre pacte social. Il est donc important que les justiciables aient confiance en la justice de notre pays. C’est la proximité qui est mon guide depuis mon arrivée place Vendôme (siège du ministère de la Justice, à Paris, ndlr), et dans le cadre du plan de soutien à la justice de proximité, les juridictions en Nouvelle-Calédonie ont ainsi été dotées de 8 effectifs supplémentaires pour le contentieux pénal, 5 pour le contentieux civil. Pour être plus précis encore, pour la seule année 2022 ce sont près de 1 900 décisions qui ont été rendues hors les murs des tribunaux, donc au plus près des justiciables calédoniens. La justice se déplace pour aller vers les justiciables. J’ai évidemment bien conscience de la nécessité pour la justice de prendre en compte les spécificités juridiques, institutionnelles, culturelles. Vous m’accorderez que ces enjeux ne peuvent être abordés sans un échange direct avec les acteurs locaux que sont les autorités civiles, coutumières et politiques. J’en parlerai plus en détail lors de ma venue en février, c’est un sujet trop important et trop complexe pour être abordé en quelques lignes.
Comme vous le savez, nous sommes engagés dans des discussions qui doivent aboutir à la définition d’un nouveau statut pour la Nouvelle-Calédonie. La justice est une compétence régalienne, mais dans l’évolution du statut calédonien comment la justice peut-elle participer à cette évolution ?
EDM : Je ne vous dirais pas grandchose, pour une raison toute simple et que vous comprendrez facilement : mon collègue et ami, Gérald Darmanin, mène des discussions, je ne veux pas et ne peux pas empiéter sur ses prérogatives. Ce que je peux vous dire, c’est que je sais que son investissement est total sur le sujet.
Propos recueillis par Nicolas Vignoles