Pour venger sa mère qui venait de se faire frapper, le fils a perdu les pédales et tiré au harpon sur son père, le 26 décembre dernier. La flèche a transpercé le thorax. Incarcéré depuis les faits, il vient d’être condamné et pourrait bientôt sortir de détention.
Un miracle que la victime soit toujours vivante. Il y a un an, le 26 décembre, les fêtes de Noël ont viré à la catastrophe au point qu’un homme a failli perdre la vie. Cette après-midi-là, le temps est aux retrouvailles et aux festivités, d’autant plus que deux baptêmes sont célébrés au domicile familial de Vao, à l’île des Pins. Un élément va pourtant contrarier la bonne entente : l’alcool. Comme toujours. Toute la journée, certains convives enchaînent les verres de rhum. Les têtes tournent. L’un deux fait même un malaise, tant il a abusé de la boisson sans même manger. Et les vieilles rancœurs ressortent. Les violences aussi. Celle du propriétaire des lieux qui règne en maître sur sa famille. Il est craint. « J’ai toujours vu ma mère se faire battre par mon père. Quand je pouvais, je m’interposais », confie un homme d’une trentaine d’années, renvoyé devant le tribunal correctionnel de Nouméa pour des violences volontaires avec arme.
Sans que l’on comprenne bien pourquoi, le père de famille s’en prend justement à sa femme. Il la prend par les cheveux, la tire sur plusieurs mètres. Les enfants sont choqués. Ils réagissent mais des oncles et cousins s’interposent. La maman part aussitôt à la gendarmerie déposer plainte. Une enquête est ouverte par les gendarmes. Elle sera finalement classée sans suite par le parquet des mois plus tard à la surprise générale.
« Je voulais lui faire mal »
Les esprits sont donc tendus. Entre le père et l’un des fils, il ne manque qu’une étincelle pour que la situation explose. Alors que ce dernier est en train de se reposer dans une chambre, son père vient à sa rencontre, l’insulte et le menace de lui « trancher la tête » s’il ne quitte pas la maison. Il le voit armé d’une barre à mine. « Je l’ai vu s’approcher, il est capable de m’astiquer avec », raconte le prévenu. Ni une, ni deux, il saute du lit, quitte la maison par l’arrière et court jusqu’à la sienne, à une centaine de mètres. Il s’empare alors de son fusil sous-marin, charge une flèche et retourne sur les lieux. Deux membres de sa famille tentent de le raisonner mais il n’écoute plus rien, ni personne. Son objectif : son père. Il est alors en train de se préparer un thé sous un faré lorsqu’il sent une douleur indescriptible lui parcourir le corps. Deux mètres derrière lui, son fils vient de lui tirer dessus, de dos. Il ne lui a pas dit un mot, pas un avertissement. « J’ai tiré directement. J’ai agi sous la colère. Je voulais lui faire mal, le blesser », admet-il.
La flèche de 1m10 a atteint l’omoplate et est ressortie de l’autre côté, au niveau du thorax. La blessure est impressionnante. Tandis que le trentenaire quitte la scène, un membre de la famille se porte au secours du père. Avec une meuleuse, il coupe de part en part le projectile. Il est évacué, debout dans la benne d’un pick-up, vers le dispensaire. Le projectile lui seraretir é sous anesthésie générale au Médipôle après avoir été évacué par hélicoptère. Dans son rapport, le médecin légiste constate que la flèche n’a eu « aucune conséquence organique ou osseusse ». Elle est passée à quelques centimètres du poumon. « C’est un miracle », résume la présidente Sylvie Morin.
« Le tir aurait pu être funeste »
Sous les yeux de sa mère, le prévenu a contesté, comme depuis le début de cette affaire, toute intention d’homicide. Le dossier avait été, à l’origine, ouvert pour tentative de meurtre et confié à un juge d’instruction qui avait requalifié les faits et ouvert la voie à un procès en audience correctionnelle. « Je regrette beaucoup », témoigne le prévenu. Célibataire et sans enfant, il vit à la tribu sans faire d’histoire et vend les produits de la pêche. L’expert psychiatre dit de lui qu’il n’a « pas de dangerosité criminologique », ni de « pathologie » ou « déficience mentale ». Son geste serait « la conséquence d’une relation hostile avec son père de longue date ».
Le procureur de la République Richard Dutot balaye d’emblée « la légitime défense » qui n’existe pas dans cette affaire. « On a échappé au pire. C’est une scène extrêmement grave. Le tir aurait pu être funeste. Oui le père fait sa loi, c’est un délinquant conjugal mais on ne peut pas se faire justice soi-même », poursuit le représentant du ministère public qui requiert cinq ans de prison ferme à son encontre.
L’avocate de la défense, Me Sophie Devrainne, appelle la juridiction « à réduire à de plus justes proportions » les réquisitions. Le conseil bat en brèche l’idée d’une préméditation, « il n’a pas ruminé son geste et réfléchit à quand et comment il allait tirer. C’est davantage une mauvaise réaction pulsionnelle qu’on peut expliquer par un déferlement de blessures émotionnelles ».
Après en avoir délibéré, le tribunal correctionnel a condamné le trentenaire à quatre ans de prison dont trois ans avec sursis probatoire. Incarcéré en détention provisoire depuis le 29 décembre dernier, il devrait donc pouvoir sortir du Camp-Est dans les tous prochains jours. Son retour à l’île des Pins ne lui a pas été interdit par la justice.
Jean-Alexis Gallien-Lamarche