Rencontre avec… Karl Therby

Une semaine après l’annonce de Glencore, le PDG de la SMSP, actionnaire majoritaire de l’usine du Nord a accepté de livrer quelques précisions sur ce qui se profile pour KNS.

Actionnaire à 49 % de KNS et son principal financeur, Glencore a annoncé le 27 septembre son intention de cesser le financement de Koniambo Nickel à fin février 2024 « si aucune nouvelle solution de financement n’est identifiée ». Vous attendiez-vous à cette annonce ?

Karl Therby : Heureusement queno us étions au courant ! Nous l’étions déjà depuis plusieurs semaines. Lors de la rencontre organisée par l’État français à Paris avec les mineurs et industriels du nickel, la SMSP avait rencontré Glencore et discuté de la situation financière de Koniambo Nickel. Le sujet en lui-même n’est pas nouveau et constitue un sujet d’attention des deux partenaires depuis plusieurs mois, entre les effets de la crise COVID et l’explosion des coûts de l’énergie. Suite à cette information, nous avions, immédiatement lors de cette rencontre, fixé une réunion à la mi-octobre entre actionnaires pour échanger et discuter de la suite. Je m’apprête d’ailleurs à m’envoler à Paris pour rencontrer Glencore.

Que vous inspire cette annonce, sachant que Glencore est le principal financeur de Koniambo Nickel ?

KT : Avant de répondre à cette question, il faut rappeler les engagements de chacun. Glencore est le financeur car suite au rachat de Xstrata qui avait racheé Falconbridge, ils ont conservé la répartition des rôles. La SMSP a apporté un massif d’une très grande valeur – le Koniambo – l’industriel est lui en charge d’amener l’usine à sa capacité nominale, ce qui comprend la partie technique et la partie financement. Concernant l’annonce, nous la prenons avec beaucoup de sérieux avec comme 1ère priorité la préservation de l’emploi. La SMSP est déjà au travail depuis un moment sur le sujet. Mais je crois qu’il est important tout de même de ramener cette annonce à ce qu’elle est. C’est-à-dire une déclaration, pas une décision ferme et définitive.

Que signifie cette annonce ?

KT : La première chose, c’est de comprendre ce que Glencore a annoncé. Beaucoup de journalistes disent que Glencore mettra la clé sous la porte et partira le 1er mars, or ce n’est pas ce qu’ils ont dit. Glencore a annoncé qu’il fallait trouver d’autres moyens de financer KNS. C’est-à-dire que, le 1er mars, Glencore ne met pas la clé sous la porte et ne s’en va pas.

Concrètement, quelles pourraient être les solutions pour éviter que Glencore ne prenne la décision de « cesser le financement de Koniambo Nickel » ?

KT : Ce que Glencore suggère comme solution est une réduction des opérations. Pour l’instant, à cette date, il est proposé dans leur vision une mise en veille de l’usine, une « care and maintenance » (surveillance et maintenance) pendant un an, dans l’intérêt de protéger les salariés et les sous-traitants, comme l’a indiqué Glencore. Et là encore, il faut discuter des options car il y en a beaucoup quand on parle de mise en veille : il peut s’agir de maintenir les fours à une température minimum pour qu’ils continuent de tourner, un scénario qui permettrait de garder la plupart des salariés ; ou bien de sécuriser le site et d’arrêter totalement la production, ce qui serait dommageable pour les fours et l’emploi. De notre point de vue, une mise en veille de l’usine doit être absolument évitée au mois de mars. Cela sera au cœur de nos discussions.

Pourquoi cette annonce intervient-elle maintenant, alors que des « avancées techniques majeures ont été réalisées » selon KNS, et que la production semble en passe de s’améliorer durablement ?

KT : C’est vrai que depuis le début de l’année, les choses s’améliorent et que cela peut paraître contra- dictoire. Après, on sort du Covid qui a été suivi de la guerre en Ukraine avec une flambée des prix de l’énergie. On peut comprendre tout à fait la position d’un industriel comme Glencore. C’est une multinationale qui poursuit ses propres objectifs. Jusque-là, Glencore respectait ses engagements de financer la montée en puissance. Mais avec les coûts de l’énergie qui ont fortement augmenté, les apports financiers que Glencore doit faire ont explosé. Pour information, le prix du charbon a été multiplié par 4 passant de 100$/tonne à près de 400$ au pic de la crise. Dans beaucoup de pays, les coûts énergétiques sont plafonnés par les États afin de protéger leurs industries, ici ce n’est pas le cas. Mais pour revenir aux améliorations de la production, pour nous ce qu’il faut garder en tête : Koniambo Nickel prouve sa capacité à opérer de manière performante et stable, et cela doit continuer car quelle que soit la suite des événements, cela sera notre meilleur atout.

Si Glencore suspendait ses financements au 1er mars, quelles pourraient être les solutions de substitution ?

KT : Il est trop tôt pour en parler à ce jour. Nous devons nous parler entre actionnaires pour évoquer ces pistes. Comme je l’ai dit, nous travaillons déjà depuis plusieurs mois pour être capables précisément d’identifier des solutions durables pour protéger notre filiale. Notre rôle est d’anticiper. Lors de la réunion prévue avec Glencore à Paris dans les jours à venir, il s’agira précisément d’explorer toutes les possibilités. Je le répète, de notre point de vue, une mise en veille de l’usine doit être absolument évitée au mois de mars.

Si Glencore s’en va, les parts de Glencore pourraient-elles être reprises par un autre investisseur ?

KT : Pour ça, il faudrait que Glencore veuille partir, pour le moment ce n’est pas ce qu’ils ont annoncé.

En cas de reprise, que deviendrait la dette cumulée de KNS qui atteint plus de 1 600 milliards de francs ?

KT : Si on considère cette hypothèse avec un investisseur qui remplacerait Glencore, personne ne reprendra une entreprise avec un tel niveau de dette. Elle devra être abandonnée en quasi-totalité dans les négociations. Mais encore une fois, je le répète, Glencore n’a pas annoncé son intention de partir.

Un nouveau montage financier à l’image de celui Prony Resources pourrait-il être envisagé ?

KT : Jamais, pour plusieurs raisons. La situation est totalement différente… Vale était actionnaire à quasi 100%. Là, quelle que soit la décision finale de Glencore, la SMSP est à l’origine de cette société. Elle était là hier et sera encore là demain. La SMSP est actionnaire à 51% et représente déjà la collectivité publique dans cette usine pays (la SMSP est détenue par les provinces Nord (87%) et Iles (5%), ndlr).

Comptez-vous sur l’aide de l’État pour tirer de l’ornière l’usine du Nord ?

KT : Nous sommes le seul groupe détenteur d’une usine métallurgique sur le territoire à n’avoir jamais demandé l’aide de l’État pour financer ses opérations (hormis la défiscalisation au lancement) et encore moins ses pertes. Là, notre filiale a un problème de financement lié au surcoût de l’énergie suite à la guerre en Ukraine. Comme je l’ai dit, dans la plupart des pays industrialisés, les industries sont protégées par les États avec des prix plafonds de l’énergie. Notre filiale a donc été voir le gouvernement calédonien pour évoquer ce problème. Ensuite c’est remonté à l’État qui doit gérer cela avec la Calédonie. Après, il y a d’autres sujets, la transition énergétique et la conversion de notre nickel casserole en nickel batterie. Là, si l’État souhaite se placer en investisseur, en partenaire, afin de pouvoir bénéficier d’une partie de la production, il n’y aucun souci. Il y a 15 ans, nous sommes allés en Corée car le marché était là-bas. Aujourd’hui ou demain, nous irons où le marché nous portera, en France, en Europe ou aux États-Unis. Rien n’est fermé.

Si Glencore se retirait, cela mettrait-il en péril l’usine du Nord et par ricochet la SMSP, son actionnaire principal ?

KT : Je le répète, nous n’en sommes pas là et clairement, au vu de ce que je viens d’expliquer précédemment, ce n’est pas le scénario vers lequel Glencore lui-même semble se diriger. Après, si vous partez du postulat qu’ils se retirent, on peut tout s’imaginer. On peut être pessimiste et dire que cela nous mettrait en péril. On peut aussi être optimiste et dire qu’un nouvel investisseur pourrait venir et changer les choses en profondeur en améliorant la situation. Cela ne reste que des suppositions…

En attendant… à l’usine du Nord tout continue comme si de rien n’était ?

KT : Cela ne peut pas être « comme si de rien n’était », car cette situation pose beaucoup de questions et d’inquiétudes pour beaucoup de familles ; mais cette société à une histoire. C’est un socle solide qui rassure. Et les effectifs de notre filiale ont la conscience et la conviction que ce ne sont ni des blocages, ni des grèves, et encore moins le fait de baisser les bras aujourd’hui après tout ce qu’il a fallu traverser pour voir ce projet se réaliser, qui va nous permettre de garder notre usine en opération. Même les plus jeunes au sein de Koniambo Nickel savent ce que ce projet représente. Notre avenir passe par le travail, la performance, la production. C’est notre meilleure arme pour l’avenir. Et j’en profite d’ailleurs pour saluer leur attitude et les encourager à performer encore plus.

Dans quelle optique êtes-vous pour les mois à venir ?

KT : Je suis réaliste sur le fait que les mois à venir ne seront pas toujours faciles, car nous devons faire face à une concurrence indonésienne qui tire les prix vers le bas. Mais je suis également confiant car nous avons des avantages en termes de respect des droits de l’homme et de l’environnement qui sont à valoriser. Confiant également par rapport à ce que j’ai dit plus haut sur nos effectifs et la richesse de ce massif qu’est le Koniambo, à l’aube d’un marché porteur pour le nickel notamment grâce aux batteries. Cela doit nous rendre confiants.

Propos recueillis par Beryl Ziegler

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