Au sortir des élections sénatoriales qui ont vu la victoire de Robert Xowie et de Georges Naturel, nous en avons dressé le bilan avec Nicolas Metzdorf, député de la seconde circonscription.
Comment se fait-il que nous n’ayez pas vu le coup venir ?
Nicolas Metzdorf : Parce que nous avons fait référence à une règle importante en politique, et peut-être plus particulièrement en Calédonie, c’est la fidélité aux convictions. Jamais dans l’histoire, un électorat ou une partie d’électorat non-indépendantiste s’était tourné vers un indépendantiste. Je rappelle que lors des législatives de 2017, lorsqu’Harold Martin se fait battre au 1er tour par Philippe Gomès et Louis Mapou, Harold Martin laisse entendre qu’il faut voter Louis Mapou en disant, « je préfère un bougna à une merguez », tout le monde s’en souvient. L’électorat a massivement soutenu Philippe Gomès malgré la consigne, certes un peu cachée, d’Harold Martin. Parce qu’en Nouvelle-Calédonie, et encore plus maintenant, la question de mettre des indépendantistes au pouvoir est dangereuse sur les questions de l’avenir institutionnel. D’autant plus aujourd’hui qu’on est en train de rédiger le futur statut. On s’est donc dit qu’à ce moment-là de l’histoire, même si l’hypothèse était sur la table, cela ne pouvait pas se passer. Là où nous nous sommes trompés, c’est que certains grands électeurs non-indépendantistes ont préféré régler des cas personnels quitte à mettre un indépendantiste au Palais du Luxembourg à ce moment-là de l’histoire. Et pour nous, c’était totalement inenvisageable.
Quelles peuvent être les conséquences de l’élection de Robert Xowie UC au Sénat, sur le processus en cours.
NM : Il y a deux sénateurs, il y a donc deux types de conséquence. Georges Naturel a été élu par les indépendantistes. Donc la question qui se pose est bien de savoir quelle sera son attitude sur l’avenir institutionnel. Je ne dis pas que Georges Naturel va demander l’indépendance, ça n’est pas le sujet. Le sujet est quel positionnellement il va avoir vis-à-vis des indépendantistes. Va-t-il faciliter le dégel du corps électoral ? Est-ce qu’il va faciliter le fait que l’on n’ait pas de droit à l’autodétermination dans 5, 10 ou 15 ans ? Est-ce qu’il va faciliter le retour des compétences que la Nouvelle-Calédonie ne parvient pas à exercer vers l’État ? Est-ce qu’il va faciliter une meilleure répartition des sièges au Congrès pour les non-indépendantistes ? Parce que nous, avec notre position ferme, notre positionnement dur envers les indépendantistes, c’est ce que l’on a obtenu. Georges Naturel, si le FLNKS a voté massivement pour lui, c’est qu’il a trouvé un intérêt. Si George Naturel avait été élu par des voix Loyalistes, nous ne poserions pas ce problème-là, il aurait gagné, comme il l’avait dit, sa primaire chez les Loyalistes et ça en serait resté là. Le problème est qu’il a convaincu les indépendantistes de voter pour lui, mais sur quelle base ? Par ailleurs, il a renvoyé l’ascenseur à un candidat Union Calédonienne qui refuse aujourd’hui de discuter avec l’État, l’UC qui a remis en cause la parole donnée à Paris au Président de la République. On n’a pas élu un sénateur Palika ou UPM qui eux considéraient qu’il faut discuter avec l’État et les non-indépendantistes pour sortir de l’ornière. Non seulement on a élu un indépendantiste, mais qui plus est de la frange la plus radicale du FLNKS ! Je ne vois donc pas comment ces deux sénateurs vont pouvoir nous aider, nous les Loyalistes, dans tout ce que l’on a obtenu jusqu’ici, à savoir un document proposé par Gérald Darmanin qui va globalement dans notre sens.
Dans les réactions, et cela va du Rassemblement National à Construire Autrement, tout le monde félicite Robert Xowie et Georges Naturel, estimant que leur victoire est de nature à mettre fin enfin à la logique des blocs. Quelle est votre sentiment à ces réactions unanimes qui vous isolent davantage encore ?
NM : La logique des blocs continuera tant que la question de l’indépendance sera sur la table. Ceux qui veulent en sortir avant l’heure mettent en péril la Calédonie française. Parce que les indépendantistes ne veulent pas sortir de cette logique-là. Le discours du FLNKS, celui de Daniel Goa, préfigurent-ils la sortie des blocs ? Non, Daniel Goa dit qu’ils vont désormais gagner la province Sud. C’est un rêve de certains non-indépendantistes de vouloir sortir de la logique des blocs, rêve évacué d’un revers de la main par le monde indépendantiste. Parce que les discussions sur la question de l’indépendance ne sont pas finies. Le jour où cette question sera résolue, alors oui nous pourrons sortir de cette logique, mais nous sommes en plein dedans ! Cette logique n’a jamais été aussi vraie qu’aujourd’hui. Il ne faut pas dégainer trop tôt sur cette question de sortie ou de fin de la logique des blocs, parce que cela favorise la revendication indépendantiste. Les non-indépendantistes qui se réjouissent de ce que ces sénatoriales favoriseraient la fin de la logique des blocs sont des idéalistes. Ils font fi de la réalité politique. Avons-nous entendu Victor Tutugoro, Roch Wamytan, Daniel Goa, Gilbert Tyuienon nous dire qu’il fallait sortir de la logique des blocs ? Non, ceux qui le réclament sont tous dans le camp non-indépendantiste. Le général de Gaulle disait : « il n’y a pas de politique qui vaille en dehors des réalités », et la réalité est que malheureusement, nous sommes dans la logique des blocs.
La cause non-indépendantistes sort-elle fragilisée par cette élection ?
NM : Faut pas non plus dramatiser les choses. Les non-indépendantistes ont perdu une bataille parce qu’ils ont été sous le feu de tirs amis, mais le combat n’est pas perdu. C’est un revers comme il en arrive parfois dans la vie politique. Il faut l’assumer et en tirer chez nous toutes les conséquences. Tout n’a peut-être pas été bien fait chez nous ? Le casting n’était peut-être pas le bon ? Peut-être n’avons-nous pas suffisamment expliqué les choses ?
Ce casting dont vous nous parlez. On entend effectivement l’opinion confirmer le fait que le casting Loyaliste n’était pas le bon.
NM : Quand on perd une élection, cette question du choix des candidats revient forcement. Est-ce que ce ticket nous était favorable ? Est-ce qu’il n’y avait pas un rejet de la personne de Pierre Frogier ? Ce sont des questions que l’on doit analyser aujourd’hui. Il faut nous inspirer de nos erreurs afin de ne pas les renouveler.
Cela étant, vous ne pouvez pas nier que Georges Naturel a fait une très belle campagne de terrain, rencontrant notamment tous les grands électeurs.
NM : Il a fait une très belle campagne, mais il est arrivé derrière chez les non-indépendantistes ! Si on enlève les voix indépendantistes à Georges Naturel, il finit 3ème non-indépendantiste. Et de loin puisque Sonia Backès fait 225 voix, 180 pour Pierre Frogier et Georges Naturel fait 116 chez les Loyalistes. Il n’a pas fait plus une campagne de terrain que les autres, sauf que les indépendantistes ont trouvé un intérêt à voter pour lui. Ce que vous dites aurait été vrai si une partie seulement des électeurs du FLNKS avait été convaincus par Georges Naturel, mais là tous les électeurs du FLNKS, tous, ont massivement voté pour lui, ce qui dépasse l’idée d’une bonne campagne de terrain ! C’est un deal politique d’ampleur.
Au sujet des sénatoriales en Calédonie, la presse nationale ne s’intéresse qu’à la défaite de Sonia Backès et pas à l’arrivée d’un indépendantiste au Sénat. C’est curieux ?
NM : C’est dû à l’envergure de Sonia Backès à Paris. Cela démontre tout simplement la place qu’elle avait réussi à prendre à Paris, ce qui explique aussi la volonté des indépendantistes de la sortir. Cela montre l’impact qu’elle avait dans le travail qu’elle a fourni pour la Nouvelle-Calédonie. Si ça avait été une ministre inconnue ou peu efficace, la presse n’y aurait pas consacré autant d’articles.