Présidente de l’Association des parents d’enfants handicapés de Nouvelle-Calédonie (APEH NC), Catherine Poëdi était évidemment présente vendredi à Nouville pour le 10e anniversaire de la Maison Gabriel-Poëdi, établissement médico-social géré par l’APEH NC et qui accueille des polyhandicapés, enfants pour la plupart. Elle en a profité pour tirer la sonnette d’alarme sur le sujet du handicap, qu’elle estime n’être pas assez considéré sur le territoire.
Pouvez-vous rappeler la genèse de cette Maison Gabriel-Poëdi?
Catherine Poëdi : Gabriel était mon époux. Comme c’est lui qui a présenté le premier projet, à l’époque en 1998, et qu’il avait fondé l’association, la Maison porte son nom. Il est décédé en 2000. Depuis, on a continué le travail qu’il avait engagé. Je dis on parce que je ne suis pas seule, il y a une équipe avec moi. Et, en 2004, c’est madame Marie-Noëlle Themereau qui, quand elle est arrivée présidente du gouvernement, a repris le projet et a signé. Concernant l’APEH NC, au départ on était des parents qui avaient au moins un enfant en situation de polyhandicap et on a créé cette association partant de rien, avec la volonté de s’entraider : quand on s’est créé en 1996, on a fait un petit bingo, on avait 30 000 francs. Aujourd’hui, l’APEH gère quasiment 700 millions de francs d’argent public par an, dont environ 550 pour la Maison Gabriel-Poëdi, donc on a un peu grandi (rires).
Entre la signature en 2004 pour la création de la Maison Gabriel-Poëdi, et son ouverture, il a donc fallu près de dix ans. Aujourd’hui, comment fonctionne l’établissement ?
CP : C’est une grosse structure, il y a soixante-dix personnes qui travaillent à temps plein ici. On a l’autorisation d’accueillir quarante personnes en situation de polyhandicap, qui est du handicap extrêmement lourd. On fait de l’accueil de jour mais aussi de l’hébergement, pour lequel on a trente lits, dont trois qui sont réservés au répit. Le répit est plein continuellement, c’est une formule très appréciée: on reçoit, pour un certain temps, des personnes qu’on a habituellement en accueil de jour. Cela permet de faire les bilans médicaux, ça évite à la famille de se redéplacer, ça lui permet aussi de souffler. On a là un jeune de Lifou, une petite du Nord aussi. Enfin, on garde toujours des places d’urgence.
Combien y a-t-il, en Calédonie, de personnes polyhandicapées ?
CP : De ce qu’on en sait, les personnes polyhandicapées, adultes et enfants confondus, seraient autour de 200, 220. Mais on a un gros souci là-dessus : cela fait très longtemps qu’on harcèle les services idoines, comme la Dass, pour faire un recensement très sérieux. On avait eu l’autorisation de faire une enquête sociale dans les années 2009-2010 : on s’est rendu compte que la mortalité chez les personnes polyhandicapées était vraiment effroyable puisque, faute de soins et de prise en charge, les gens mouraient très jeunes. Donc voilà, aujourd’hui on va être confronté à qu’est-ce que ça veut dire le vieillissement de la personne polyhandicapée ? On est train de le découvrir. On espère ralentir ce phénomène de mortalité. Il faut néanmoins savoir que, depuis l’ouverture il y a dix ans, on a perdu déjà cinq ou six jeunes, qui étaient tellement fragilisés…
Identifiez-vous d’autres problèmes ?
CP : Après le recensement, le deuxième problème, qui est énorme, c’est la solvabilisation du handicap, qui n’est pas du tout pérennisée : le territoire a pondu à un moment des textes de loi, on était ravi de gagner cette bataillle-là, mais sans mettre en face des rentrées d’argent pour financer cela.
La Maison Gabriel-Poëdi vient de fêter ses 10 ans. Comment voyez-vous la situation dans dix ans ?
CP : J’espère que la structure survivra, il le faut parce qu’il n’y a pas d’autre solution qu’un accompagnement à la fois éducatif, médical et paramédical pour ces personnes polyhandicapées dont les besoins sont énormes. On fera tout, tant que l’association a un peu d’énergie. Mais si on n’arrive pas à faire entendre au pays qu’il faut recenser les besoins et solvabiliser de manière pérenne le handicap, forcément il y aura des soucis, pas que chez nous, partout. Il faut qu’on parte sur une vision claire de ce qu’est le handicap dans notre pays. Il faut bien que les gens puissent avoir un parcours ! Récemment, j’ai un jeune, qui vient en accueil de jour et qui a une maladie dégénérative, il me dit quelque chose qui m’a déchiré le coeur : “mais où est-ce que je vais vieillir, moi ?” Je ne peux pas lui répondre parce que la filière, les filières, les parcours de vie ne sont pas définis en Nouvelle-Calédonie, où malheureusement la société n’est pas inclusive.
Propos recueillis par Anthony Fillet