A quelques jours de son départ à Paris, où il sera question de l’avenir du nickel calédonien, Karl Therby, PDG de la Société minière du Sud Pacifique (SMSP) a accepté de répondre à nos questions.
Dans son discours du 26 juillet, le président de la République a invité les Calédoniens à faire « bouger la doctrine nickel » que met en œuvre la SMSP. Qu’en pensez-vous ?
Karl Therby : « Bouger la doctrine nickel » est selon moi une remarque politique plus qu’industrielle et économique. D’ailleurs, économiquement, elle est incohérente avec le reste du discours. Comment peut-on dire que le nickel est une ressource critique au niveau mondial, qu’il faut en être souverain, mais qu’il faut l’exporter ? En quoi est on souverain d’une ressource qu’on exporte à des étrangers ?
Le rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) n’a pas été tendre avec la « doctrine nickel ». La mission estime «que le modèle « offshore » n’est pas supérieur à celui des petits mineurs ». Qu’en dites-vous ?
KT : De manière simple, lorsque la NMC envoie une tonne de nickel à la SNNC, la NMC perçoit son chiffre d’affaires, le paiement de ce minerai, exactement pareil que les petits mineurs. Sauf que le modèle offshore ne s’arrête pas là. Il permet à travers notre actionnariat dans l’usine en Corée de percevoir des dividendes : 11 milliards depuis 2009. Et c’est sans compter les retours et le partage technologique avec les partenaires mondiaux avec lesquels nous concluons nos joint-ventures, et la sécurité du débouché de notre minerai. Le marché change, les métallurgistes Chinois vont en Indonésie, les Japonais sont en difficulté, les débouchés pour l’export sont de plus en plus restreints. La NMC n’a aucune crainte quant à savoir si elle aura un acheteur pour sa production, l’inquiétude est plus de ne pas produire assez. C’est quand même une situation bien plus confortable. Ces avantages découlent de la stratégie nickel que défend le groupe SMSP, à savoir rechercher l’intégration verticale, pour accéder aux phases de transformation du nickel qui sont génératrices de plus de valeur ajoutée et donc de retombées.
La SNNC en Corée du Sud rapporte-t-elle toujours des dividendes ?
KT : Nous avons reçu des dividendes l’an dernier. Cette année non, car l’année 2022 a été compliquée avec la Niña et le manque de minerai, un typhon en Corée qui a impacté la production, et des coûts d’énergie qui ont explosé suite à la guerre en Ukraine.
La SMSP et POSCO ont validé, en juillet 2021, un investissement permettant à SNNC de produire des mattes de nickel. Cette production a-t-elle démarré ?
KT : Nous avons entamé les discussions en 2021 et nous avons signé en octobre 2022. La construction a commencé fin 2022 et l’inauguration et la mise en production de la nouvelle unité de production de matte devrait être annoncée d’ici à la fin de l’année.
Le rapport de l’IGF évoque aussi la situation financière particulièrement précaire de l’Usine du nord qui accumule les dettes (13,7 milliards de francs). Confirmez-vous ces chiffres ?
KT : Oui je confirme. Ces dettes sont à 98% auprès de Glencore etle re ste auprès de notre groupe et non des banques. Glencore est là depuis 10 ans, tous les ans on me demande si Glencore va partir ou non… C’est un peu comme Mbappé au PSG, ça fait beaucoup parler.
La SMSP avait été placée en sauvegarde en 2021, alors que ses dettes s’élevaient à 29 milliards de francs en 2019. La situation est-elle rétablie ?
KT : Notre plan de sauvegarde a été validé par le tribunal en fin d’année 2022 et nous honorons nos échéances depuis.
Quelle est votre analyse de la situation du secteur du nickel en Nouvelle-Calédonie ?
KT : Le secteur du nickel en Calédonie produit majoritairement du nickel « casserole », la transition vers du nickel batterie est urgente. On ne va pas pouvoir rester sur le secteur du ferronickel en face d’un concurrent comme l’Indonésie. On ne sera jamais compétitif face à leur structure de coûts. Néanmoins, on a des avantages : une ressource de qualité et des standards en termes de respect de l’environnement et de droits de l’homme très élevés. Ce sont des choses qui comptent notamment pour le secteur des batteries. Cependant, cela ne suffira pas, car pour les valoriser, il faut que tous ensemble, à tous les étages, nous travaillions sur l’amélioration continue de nos salariés, de nos formations, de nos process, bref de notre compétitivité globale.
Êtes-vous confiant en l’avenir ?
KT : Oui. Je crois toujours au fait que la Calédonie soit capable de mettre en œuvre une réelle stratégie nickel au profit des Calédoniens. D’inverser la tendance, le rapport de force. Tous les autres pays détenteurs de la ressource dans le monde le font, l’Indonésie, le Chili, les pays africains. On n’est pas plus bêtes qu’ailleurs.
Propos recueillis par Béryl Ziegler