Vous quittez votre poste d’avocat général près la cour d’appel de Nouméa après sept ans. Avez-vous constaté un changement dans la délinquance et la criminalité sur le territoire calédonien ?
Christian Pasta : Cela pourrait vous surprendre mais je n’ai constaté aucun changement. Ce qui m’avait surpris en arrivant sur le territoire en août 2016, c’était le volume de crimes commis sous l’emprise de l’alcool et/ou des stupéfiants. Et depuis, c’est toujours le même constat. Autre point qui n’a pas évolué depuis toutes ces années : le nombre important d’infractions sexuelles et notamment de viols puisque nous constatons entre 70 à 80% d’affaires de viols jugées devant la cour d’assises, le plus souvent dans l’entourage familial avec des victimes mineures. En matière correctionnelle, nous remarquons une baisse du nombre d’affaires politico-financières. La raison ? La situation a commencé à s’assainir à partir de 2015 avec des procès en première instance puis en appel et parfois même, un troisième procès après renvoi de la Cour de cassation. Le parquet et le parquet général ont pu imposer leur vision des choses au cours de ces audiences. La cour d’assises juge principalement des crimes sexuels.
Est-ce une particularité calédonienne ?
CP : Non, pas spécialement, et regardez, c’est bien la raison pour laquelle les cours criminelles départementales ont été créées et commencent à fonctionner à plein régime en Métropole. La caractéristique calédonienne est davantage du fait que les crimes sexuels se déroulent pratiquement exclusivement dans l’entourage familial, ce qui n’est pas toujours le cas en Métropole.
Est-ce qu’on juge plus sévèrement en Nouvelle-Calédonie qu’ailleurs ?
CP :Difficile de répondre à cette question… Je ne sais pas si on juge plus sévèrement qu’ailleurs mais en tout cas, on juge sévèrement ici. Il n’est pas rare que le ministère public soit dépassé dans ses réquisitions. J’ai tenu l’accusation dans de nombreux dossiers d’assises depuis sept ans en Nouvelle-Calédonie et j’ai toujours essayé de requérir la peine la plus juste possible en fonction de la gravité des faits, de la personnalité de l’accusé, des antécédents judiciaires… Et bien mes réquisitions ont assez souvent été dépassées par la cour d’assises qui rend des décisions sévères.
La cour criminelle s’appliquera-t-elle en Nouvelle-Calédonie ?
CP : C’est aux chefs de cour – le premier président et le procureur général – de communiquer sur ce dossier mais nous sommes confiants : nous devrions y échapper.
Quel est l’état des stocks des dossiers de la cour d’assises ?
CP : Nous avons programmé les dossiers jusqu’à la dernière session de l’année 2023. Il reste encore deux sessions : la première est prévue du 28 août au 17 septembre et la seconde, du 13 novembre au 1er décembre. Aujourd’hui, nous n’avons plus que quatre dossiers en stock sans compter les dossiers qui sortiront prochainement des cabinets des juges d’instruction et qui viendront nourrir le portefeuille.
Quel est le procès qui vous a le plus marqué lors de votre passage sur le Caillou ?
CP : Je retiendrai deux procès qui m’ont marqué. Le premier, c’est celui de l’affaire dite de la « 3G » avec des personnalités politiques de premier plan. Je venais d’arriver depuis quelques semaines et j’ai découvert un mode de fonctionnement qui m’a un peu surpris. Cette porosité entre le monde politique et le monde des affaires, qui avait plutôt disparu en Métropole, était révélée au grand jour en Nouvelle-Calédonie. Et puis, forcément, le dossier du docteur Pérès qui a été un procès hors-normes à bien des égards.
Quel poste allez-vous désormais occuper en Métropole ?
CP : Je vais occuper le poste de président de chambre de la cour d’appel de Nîmes. Après trente ans d’amour, je quitte le parquet pour rejoindre le siège où je vais coordonner en tant que chef du service criminel les quatre cours d’assises du ressort de la cour d’appel de Nîmes (Gard, Vaucluse, Ardèche et la Lozère). Je présiderai également la cour d’assises d’appel pour le Gard et le Vaucluse.
Propos recueillis par Jean-Alexis Gallien-Lamarche