Au marché de Nouméa, les habitants commentaient, hier matin, l’absence d’accord à l’issue du conclave politique de Déva. Entre colère, lassitude et volonté de construire ensemble, les avis sont tranchés.
Trois jours de huis clos dans un cadre idyllique, mais toujours pas de consensus. Réunis à Déva par le ministre des Outre-mer Manuel Valls pour discuter de l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, les responsables politiques loyalistes et indépendantistes n’ont pas réussi à s’entendre. Deux projets ont été mis sur la table : l’un fondé sur une souveraineté avec la France, porté par le gouvernement, et l’autre sur un modèle fédéral au sein de la République, défendu par Les Loyalistes. Aucun des deux n’a trouvé d’adhésion générale. Hier matin, au marché de Nouméa, les Calédoniens rencontrés oscillaient entre désillusion, détermination et inquiétude.
Amertume et résignation
Patrick, Corse installé de longue date sur le territoire, ne cache pas son amertume. « Tant qu’il y a ceux qui sont au gouvernement, ça ne changera pas », lâche-t-il sans détour. Pour lui, les blocages actuels sont symptomatiques d’un système à bout de souffle, il aurait préféré que « la Calédonie soit sous tutelle pour qu’au moins on sache où va l’argent ». Michel Génot, retraité arrivé sur le territoire en 1984, se dit écœuré par la stagnation. « Ils en sont toujours au même point », résume-t-il. Témoin des grandes figures de l’histoire locale, Jean-Marie Tjibaou, Jacques Lafleur, Dick Ukeiwé, il regrette que l’argent venu de la Métropole n’ait pas été mieux utilisé : « Pourquoi on n’a pas construit des usines ici ? Il aurait fallu construire des usines avec l’argent de la Métropole ! Ça aurait permis aux jeunes d’avoir un emploi ». Pour lui, ce manque de vision industrielle est l’un des ingrédients de la crise actuelle : « On a tout construit sauf les usines. Au final, on n’a rien ». Un autre discours, plus pudique mais tout aussi ferme, nous vient d’Aïcha, 84 ans, originaire d’une famille installée sur le territoire depuis plusieurs générations. « Mon père était d’Aden. Ma mère, ma grand-mère française, elles sont nées ici. » Pour elle, l’indépendance n’est pas souhaitable : « On espère ne pas l’avoir ».
Appel au dialogue et appréhension des élections
Pour Jacques*, originaire de Lifou, le blocage est compréhensible mais pas insurmontable. « On a des opinions très divergentes. C’est pour ça qu’ils n’ont pas réussi à s’entendre », explique-t-il. Il évoque aussi les divisions internes au sein du FLNKS : « Il y a une reconstruction à faire chez les indépendantistes. Mais l’avantage, c’est qu’on commence à s’élargir. Maintenant, il y a des Wallisiens, des Calédoniens ». Selon lui, l’indépendance ne doit plus être vue comme une idée clivante : « Ce n’est pas simplement nous les Kanak et les autres dehors. C’est pour nous tous, pour vivre ensemble, pour construire un destin commun ». Opposé à la proposition fédéraliste, qu’il juge dangereusement fragmentaire, il loue au contraire l’approche du ministre : « On a de la chance d’avoir quelqu’un qui comprend la situation ». Mais Jacques* s’inquiète aussi d’un avenir bloqué : « Le sang va continuer à couler s’il n’y a pas d’accord ». Son message est clair : « Il faut que les autres, là-bas, les non-indépendantistes, reconnaissent ce que nous, les Kanak, on est en train de faire. Ce n’est pas pour nous diviser. C’est pour construire ». Pour lui, rester sous supervision française n’est plus viable : « Il faut arrêter ça. On ne peut pas développer un pays sous la supervision financière de la France », déclare-t-il.
Pascal*, professeur calédonien d’origine polynésienne à la vision plus pragmatique, se dit peu surpris par l’issue du conclave : « Je m’y attendais un peu, avec les tendances extrêmes des deux côtés ». Il liste les options débattues : État fédéré, prolongation des accords, souveraineté partagée ou pleine, et constate : « Il n’y avait pas 36 solutions, mais aucune n’a fait consensus ». Pour lui, l’avenir pourrait passer par de nouvelles élections provinciales. Mais il redoute que la question du corps électoral devienne un point de blocage : « Chacun va vouloir défendre son bifteck. L’intérêt de la population, je ne sais pas s’ils le voient vraiment ». Il appelle aussi à la responsabilité collective : « Ce sont les élus que nous avons choisis. Il faut aussi se taper sur les doigts nous-mêmes ». À ses yeux, un compromis est nécessaire : « On ne peut pas faire vivre une moitié du pays avec seulement les idées de la gauche, ou de la droite. Il faut prendre ce qu’il y a de bien de chaque côté ». Marqué par les événements de 2024, Pascal insiste sur la nécessité d’ouvrir un nouveau cycle : « Peu importe qui a tort, qui a raison. L’heure est à la reconstruction ».
* Prénoms d’emprunt
Claire Rio-Pennuen