Habillée en noir, elle a passé son samedi soir seule, assise sur une chaise peu confortable, dans l’obscurité d’un hall d’immeuble, quand elle ne faisait pas les cent pas pour repousser le sommeil. Cela a duré jusqu’au lever du jour. Pour passer le temps, elle a, entre autres, enchaîné les épisodes d’une série dramatique sud-coréenne. Cela lui a permis de penser à autre chose lorsque, aux alentours de minuit, des fêtards ivres sont passés devant elle, hurlant, sans la voir, comme s’ils étaient seuls au monde et qu’elle n’était pas là. Elle a aussi écouté de la musique, et regardé un documentaire sur un tueur en série. Drôle de travail que celui d’agent de sécurité, profession où sont requis un mental en acier et un moral tout aussi solide.
Depuis les émeutes de l’an passé, vous l’avez sans doute remarqué : les prénoms d’emprunt fleurissent dans les médias calédoniens, les témoins, tremblant parfois, insistant souvent pour conserver leur anonymat. On n’aime pas ça. Pourtant, là, on maquillera volontairement son prénom (appelons-là Marie), par respect pour elle, qui a veillé sur nous douze heures de suite, sans jamais perdre son sourire et sa gentillesse. Ce sont ses seules armes contre la bêtise et la violence. Pas de bombe lacrymogène, pas de pistolet, pas de matraque : la loi l’interdit.
Sa nuit s’est bien passée. Elle fut plus calme que la précédente : celle-ci, de vendredi à samedi, avait été marquée par une série de vols dans le centre-ville de Nouméa, dont un cambriolage (avec grille forcée, vitre cassée…) dans l’immeuble qui abrite les équipes de La voix du Caillou. D’où la présence, la nuit suivante, de Marie. D’origine tahitienne, la trentaine, elle n’a jamais pratiqué de sport de combat. Elle préfère jouer de la guitare.
Après sa fin de journée, sa soirée et sa nuit de travail, elle est partie, pour rejoindre ses deux enfants et son compagnon. Pour cela, il lui a fallu traverser la route de Saint-Louis. Ultime effort avant un réconfort mérité.
Anthony Fillet
