La province Sud tire la sonnette d’alarme. Faute de recettes fiscales suffisantes, la Maison bleue va devoir opérer des choix drastiques pour équilibrer son budget 2025, amputé de plus de 30 %. Une situation délicate examinée ce matin en assemblée provinciale dans le cadre du débat d’orientation budgétaire.
« Avant le 13 mai, la province Sud était reconnue pour son excellente gestion (de 2020 à 2024). Tout cela s’est effondré avec les exactions », rappelle Sonia Backes, présidente de l’institution. Les événements vécus par le territoire ont impacté les recettes fiscales qui alimentent l’ensemble des collectivités. Pour la province Sud, la perte de ressources fiscales s’élève à 10 milliards de francs. L’État a été sollicité par la Maison bleue pour compenser ce manque à gagner, à hauteur de 12 milliards de francs, mais pour l’heure, l’institution n’a reçu aucune confirmation quant à son éventuel soutien. Et ce, malgré les annonces du ministre des Outre-mer lors de son séjour en Nouvelle-Calédonie laissant entendre que « les provinces ne seront pas oubliées ».
Une situation financière difficile en fin d’année
Face à cette perte de ressources, des premières mesures d’économie ont été actées dès juillet par l’institution en assemblée provinciale, comme la diminution de certaines aides sociales (aide médicale renchérie, minimum vieillesse réduit, et critères plus restrictifs pour les bourses scolaires et l’accès au logement social). Mais cela ne suffit pas. Pour finir l’année 2024, la province Sud a une problématique de trésorerie. Elle doit encore recevoir des sommes impayées de la part du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et de la Cafat, à hauteur de près de 8 milliards de francs, qui vont lui donner « un peu d’air », mais cela ne change en rien la situation critique de la collectivité dont le vote du budget 2025 interviendra le 5 décembre. « Comment faire pour compenser la perte de recettes fiscales ?, s’ interroge Sonia Backes. Pour l’instant, il n’y a aucune piste. »
Un budget 2025 en baisse de 31 %
« Sur un budget primitif autour de 56,8 milliards, on se retrouve avec un budget de 40 milliards, soit une baisse de 31 % », précise Sonia Backes. Dans ce contexte de fiscalité dégradé, la Maison bleue n’a d’autre choix que d’effectuer des coupes budgétaires à tous les niveaux. Sachant que 85 à 90 % de ses dépenses sont fonctionnelles et dédiées à sa masse salariale, la marge de manœuvre est faible. « On a déjà dégraissé au maximum, on est à l’os », confirme Gil Brial, deuxième vice-président de la province Sud. « Sauf à mettre 50 enfants par classe, comme nous l’a suggéré Bercy », précise Sonia Backes, totalement fermée à cette option.
De nouvelles pistes d’économies
La province Sud a donc joué le jeu de faire un budget sincère avec 17,8 milliards de francs en moins. Elle a listé les pistes d’économies qu’elle pourrait faire sans ressources nouvelles, comme geler intégralement les postes devenus vacants, supprimer les crédits de remplacement y compris pour les enseignants, fermer tous les centres médico-sociaux, les parcs provinciaux, les internats provinciaux, réviser l’âge d’éligibilité au minimum vieillesse, supprimer toutes les bourses scolaires et d’enseignement supérieur, suspendre le budget participatif, ou encore optimiser le nombre d’élèves par classe (30 élèves par classe au lieu de 25 maximum aujourd’hui), supprimer les aides à l’investissement pour les très petites entreprises (TPE) et les agriculteurs, diminuer drastiquement l’entretien et la mise en sécurité des routes, arrêter les projets de rénovation des bâtiments provinciaux, réduire massivement les subventions aux associations… « Mais même en faisant tout cela, on n’arrive pas à économiser 17,8 milliards », constate Sonia Backes.
Pas de possibilité sans une intervention massive de l’Etat
Face à cette situation « cataclysmique », il y a deux options, selon la présidente de la province Sud. « Soit on arrête tout au 1er janvier, soit on fait un budget insincère le 5 décembre et on est mis sous tutelle de l’Etat ». La présidente balise l’avenir en ces termes : « On va faire tous les efforts possibles qui ont un impact modéré sur les populations les plus fragiles. On sera sans doute à 5 ou 6 miliards d’efforts et on inscrira une recette virtuelle de 12 milliards de francs de l’Etat qui va normalement attaquer notre budget ou nous donner 12 milliards. On va rentrer dans une négociation qui se terminera sans doute au mois de février. Soit on aura une aide de l’Etat, soit l’Etat prendra la main sur la collectivité. »
Sans aide de l’Etat, la province devra également reduire drastiquement son budget d’investissement. « Neuf milliards d’investissement public en moins, c’est grave », souligne Sonia Backes. « Et ceux qui vont en souffrir le plus sont ceux qui ont organisé les exactions et qui bénéficient le plus de la redistribution », ajoute Philippe Blaise. Pour lui, « c’est la tiers-mondisation de la Nouvelle-Calédonie » qui se profile et « l’effondrement du système de solidarité ». Le premier vice-président est formel : « C’est important que les gens prennent conscience de la gravité de la situation. C’est le budget de l’an zéro de Kanaky. On va effacer trente ans de rééquilibrage. Il n’y a que l’Etat qui peut nous aider. »
Sibanye-Stillwater toujours intéressé par Prony Resources
La présidente de la province Sud a confirmé que la société sud-africaine Sibanye-Stillwater était « toujours intéressée » par l’usine du Sud, en quête d’un repreneur. Mais cette entreprise spécialisée dans l’extraction de métaux précieux veut voir l’usine en fonctionnement avant de se décider à en faire l’acquisition. Une mission technique est d’ailleurs envisagée par la société deux mois après le redémarrage. Or pour relancer Prony Resources, la ligne électrique alimentant l’usine, détériorée depuis le 22 juillet, doit être réparée. La province Sud travaille à ce titre sur deux options en parallèle. « L’une doit être mise en œuvre par l’Etat, qui estime qu’il faut qu’il y ait une acceptabilité de la réparation de la ligne. Une négociation est en cours avec les coutumiers pour éviter qu’elle soit à nouveau cassée. Et la deuxième option serait de détourner l’électricité du barrage de Yaté pour la mettre à Prony Resources sans passer par Saint-Louis », explique Sonia Backes. « Il y a un espoir sérieux sur Prony Resources », veut croire la présidente de la province Sud, qui reconnaît toutefois que « les Sud-Africains sont les seuls repreneurs potentiels. Donc s’ils se rétractent, il n’y aura personne d’autre ». L’éventuel repreneur pourrait détenir plus de 70 % du capital de l’usine.
Les coupes déjà effectives
En anticipation des difficultés à venir, certaines mesures ont dû être prises. C’est ainsi que les contrats PPIC (programme provincial d’insertion citoyenne), concernant notamment 120 auxiliaires de proximité, ne seront pas renouvelés en novembre. Il a par ailleurs été proposé aux agents provinciaux qui le souhaitent de réduire leur temps de travail de 10 % pour permettre à l’institution de réaliser des économies du même montant sur sa masse salariale.
Le Méridien de l’île des Pins sur la corde raide
En revanche, la situation est plus que critique pour l’hôtel du Méridien de l’île des Pins, « qui va sûrement être mis en liquidation », dévoile Sonia Backes. Il manque 600 millions de francs pour rouvrir l’hôtel, en mauvais état. « La SHN, actionnaire à hauteur de 30 % de l’hôtel, est d’accord pour remettre au pot, mais les coutumiers qui possèdent 70 % ne sont pas en mesure de mettre le reste », explique-t-elle. A défaut de nouveau partenaire financier ou sans intervention de l’État, l’avenir de l’établissement est compromis. Quant au Méridien de Nouméa, il ne s’est jamais aussi bien porté, depuis l’arrivée des militaires de Métropole qui l’occupent en quasi-intégralité. Le Sheraton Deva toujours en difficulté « C’est une opération largement déficitaire. L’hôtel perd de l’argent, de l’ordre de 700 millions par mois, qui sont compensés par le casino, révèle Sonia Backes. Mais sur les trois hôtels dans lesquels la province Sud est actionnaire via la SHN (Société des hôtels de Nouméa détenue à hauteur de 86 % du capital par PromoSud, le bras financier de la province Sud, NDRL), le Sheraton ne tourne pas si mal. Il est en difficulté, mais pas tellement plus que d’habitude ».
Pas de reconstruction à l’identique
Les dégâts se chiffrent à 1,6 milliard de francs sur les collèges de la province Sud et à 3 milliards sur les autres infrastructures. « La province Sud a perdu 1 300 élèves dans le primaire depuis le 13 mai, donc on ne peut pas reconstruire à l’identique, a laissé entendre Gil Brial. (…) Si on reste à effectifs constants dans nos écoles, on ferme une trentaine de classes dans le primaire l’année prochaine (sur environ 930) ».
Béryl Ziegler