Dans un long article publié sur son blog, Jacques Attali confie son analyse du chaos que nous vivons depuis deux semaines. Pour lui, “ce qui se passe en Nouvelle-Calédonie n’est pas seulement une tragédie locale”.
“Nouvelle-Calédonie, signaux faibles” est le titre de cet article. Jacques Attali voit en effet dans ce qui se déroule actuellement sur le Caillou “l’annonce d’un évènement de beaucoup plus grande ampleur, dont cette péripétie n’est que le précurseur”, le révélateur “d’un grand nombre de menaces qui pèsent sur la France toute entière”.
C’est d’abord une attaque contre la présence française hors d’Europe, et Jacques Attali rappelle que l’Hexagone est “le dernier pays occidental à avoir une présence territoriale sur les cinq continents”, en particulier dans le Pacifique “où, dit-il, va se jouer une grande partie de l’avenir du monde”. Il ajoute que “cette présence est essentielle au rayonnement du pays, à la localisation de ses forces, à son réseau d’alliances, à son accès à la diversité des ressources naturelles et des cultures. Et, en dernier recours, à son niveau de vie. Et on tente ici de l’en chasser.”
“Une attaque contre des réserves stratégiques françaises”
La crise calédonienne est ensuite “une attaque contre des réserves stratégiques françaises d’importance mondiale”, et il vise nommément la Chine qui “a investi énormément en Indonésie depuis 2021, y produisant désormais près de la moitié du nickel mondial et maîtrisant toute la chaîne de valeur, mettant les exploitants néocalédoniens au bord de la faillite, pour s’arroger un quasi-monopole et faire remonter les prix. Là encore, c’est le niveau de vie des Français qui peut se trouver remis en cause si la France en perd la maîtrise.” Comme d’autres, Jacques Attali analyse aussi dans ce que nous vivons, “une tentative d’affaiblir la position diplomatique de la France”, citant bien sûr l’Azerbaïdjan.
“Affaiblir son poids en Nouvelle-Calédonie, c’est affaiblir le poids de la France en Europe et de l’Europe dans le monde.”
Mais Jacques Attali, faisant référence aux restrictions touchant le corps électoral calédonien, y voit surtout un risque de fin de l’unité nationale. “En théorie, dit-il encore sur son site internet, sur le territoire français, chaque citoyen a les mêmes droits, où qu’il soit ; en particulier les mêmes droits de vote. Et pourtant, on a accepté qu’il n’en soit pas de même en Nouvelle-Calédonie. C’est très grave : à un moment où, partout dans le monde, les revendications identitaires locales s’intensifient, où le « chacun pour soi » devient une règle, si on laisse cela s’installer, on peut craindre que certains mouvements ou partis en viennent à réclamer l’application des mêmes règles sur d’autres parties du territoire national. Imagine-t-on que seuls ceux des citoyens habitants depuis 1990 en Corse ou en Côte-d’Or (qui fut le cœur de la Bourgogne, grande nation indépendante avant d’être rattachée à la France) ou en Seine-Saint-Denis, ou en Martinique, puissent voter aux élections municipales, départementales ou régionales ? C’en serait fini de l’unité nationale. Cela ne peut donc perdurer, sous peine de prendre le risque de voir ce principe être répliqué.”
Le chaos calédonien peut aussi participer à un affaiblissement de l’Europe, selon Jacques Attali, car dit-il, “c’est au nom de l’Europe que la France est présente sur ces divers continents et qu’elle y assure une présence économique, culturelle et militaire. Affaiblir son poids en Nouvelle-Calédonie, c’est affaiblir le poids de la France en Europe et de l’Europe dans le monde.”
Et Jacques Attali conclut son article en s’adressant à tous ceux qui auront à résoudre cette crise et sortir la Calédonie du chaos dans lequel la CCAT l’a plongée. “Il faudra prendre garde à tous ces sujets dans la résolution, qui ne peut être que politique, du conflit actuel, dit-il. Et assumer consciemment que toute concession tactique faite localement, (au nom d’une conception élargie, et à mon sens erronée, de la décolonisation) peut avoir, à l’avenir, des répercussions stratégiques majeures et irréversibles.”
N.V.