Rencontre avec… Christopher Gygès

Jeudi, les élus du Congrès vont examiner une délibération-cadre qui prévoit un certain nombre de dispositions relatives au sauvetage d’Enercal. Un texte qui a provoqué de nombreuses réactions d’opposition et contre lequel Christopher Gygès, membre du gouvernement en charge de la transition énergétique, ne décolère pas.

Quelle est la vraie situation d’Enercal ?

Christopher Gygès : La vraie situation d’Enercal a été précisée par son directeur-général en commission la semaine dernière. Il a expliqué aux élus que le besoin de trésorerie d’Enercal était de 1 milliard au mois de juin. Et si les hôpitaux réglaient leur facture à Enercal d’un montant de 1,2 milliard, Enercal n’aurai pas de besoin de trésorerie. La situation de l’entreprise est donc celle-là : un besoin de 1 milliard. Et pourtant, on se retrouve aujourd’hui avec une proposition de délibération qui, si elle était adoptée, irait ponctionner 5 milliards de francs dans la poche des Calédoniens, sous forme d’augmentation de tarifs ou de la fiscalité.

Pourquoi se focalise-t-on alors sur le déficit d’Enercal chiffré à 13 milliards ?

CG : Parce que c’est le déficit du système électrique calédonien, ça n’est pas un déficit que d’Enercal. C’est le système électrique qui rémunère un certain nombre d’investissements ou d’augmentation de la masse salariale. On a un système électrique qui est biaisé, qui fait que plus les sociétés augmentent leurs charges, leurs frais de personnels ou leur coûts, plus la Nouvelle-Calédonie les rémunère. Il n’y a donc aucune incitation à ce qu’Enercal ait une maîtrise de ses dépenses. Aujourd’hui, ça n’a aucun sens de vouloir aller donner 13 milliards à Enercal. Ce qu’il faut donner à Enercal, c’est ce qui lui permet de fonctionner, d’acheter ce qu’il faut en fioul et en charbon pour alimenter la Nouvelle-Calédonie, et ça, ça se chiffre à 1 milliard.

Dans ces conditions, Enercal est-elle en danger ?

CG : Oui, mais du fait que notre système de santé est en faillite et donc les hôpitaux ne payent pas. Enercal est en danger parce que Prony Energie n’a pas payé sa facture, parce que le nickel va mal. Enercal paye la situation économique globale de la Nouvelle-Calédonie. Et c’est le moment choisi pour assassiner le pouvoir d’achat des Calédoniens. Il faut régler la situation du nickel, il faut régler la situation des hôpitaux et on réglera la situation d’Enercal. Les Loyalistes ont fait une proposition en commission qui est le versement d’une subvention d’un milliard aux hôpitaux, afin qu’ils règlent leur dette auprès d’Enercal. Cela permettrait d’alléger la dette des hôpitaux et de régler la situation d’Enercal. Ça ne sert à rien de mettre 20 francs d’augmentation des carburants, de revenir sur les concessions des communes, d’aller pénaliser la transition énergétique en coupant les budgets de l’Agence Calédonienne de l’Energie, de revenir sur les contrats en cours des particuliers qui ont fait le choix du photovoltaïque en toiture. D’ailleurs sur cette question du photovoltaïque en toiture, je signale qu’il est illégal de revenir sur les contrats en cours. C’est pourquoi, même si le Congrès venait à adopter cette mesure, en tant que membre du gouvernement en charge de l’Energie et de la transition énergétique, je ne la signerais jamais.

Dans toutes les mesures proposées par la délibération-cadre, l’une concerne en effet les panneaux solaires installés par les particuliers. Cette mesure signe-t-elle la fin du photovoltaïque pour les particuliers ?

CG : Si l’on regarde la situation future, malgré tout on continue à privilégier l’autoconsommation et à mettre en place des avantages fiscaux, et donc la filière continuera. En revanche, le fait de revenir sur des contrats signés de gens qui ont fait des crédits sur la base de tarifs de revente de l’électricité de 21 ou de 15 francs, ça n’est pas possible. Ce qui montre l’amateurisme avec laquelle cette délibération-cadre a été rédigée, c’est qu’il est question d’une rétroactivité à compter de 2019. C’est en 2019 que nous avons fait passer les tarifs de rachat de 21 à 15 francs. Donc on va laisser de côté les tarifs de 21 francs en vigueur avant 2019, pour toucher ceux à 15 francs ? La problématique d’Enercal, est aussi que la société doit financer 450 millions de fioul fin février et 1 milliard de charbon en mai/juin. Pour régler le problème à long terme de l’achat de ces énergies fossiles, on souhaite développer massivement du photovoltaïque, mais comment faire si l’on impose un tarif plafond de rachat à 5,4 francs ? C’est prendre le risque à ce prix-là que plus aucun projet ne sorte. Enercal a un projet de ferme photovoltaïque dans le Sud qui fera faire une économie de 200 millions au système électrique calédonien, on prend donc le risque de se passer d’un tel projet ?

Cette délibération-cadre serait-elle davantage politique qu’économique ?

CG : C’est une délibération politique, démagogique et dangereuse. Politique parce que Calédonie Ensemble cherche à continuer une certaine existence. Démagogique, parce qu’on tape sur tout le monde, mais que l’on ne demande rien à Enercal. L’entreprise doit être sauvée, personne ne le conteste, mais elle doit consentir à des efforts. On ne peut pas verser 170 millions d’intéressement lorsque l’on demande 5 milliards d’effort aux consommateurs et aux contribuables, c’est indécent. Et puis dangereuse pour toutes les raisons que je viens d’énoncer.

Quelles économies Enercal pourrait-elle faire ?

CG : D’abord sur l’évolution de sa masse salariale. Les accords d’entreprise disent que même si Enercal est en déficit, on verse 2/3d’i ntéressement aux salariés, tant mieux pour eux, mais la direction pourrait prendre ses responsabilités. On ne peut pas solliciter l’aide de la puissance publique, et donc du contribuable, donc des Calédoniens, et faire comme si de rien n’était.

Qu’est-ce qui ne fonctionne plus dans le système électrique calédonien ?

CG : La concurrence existe pour faire baisser les prix. Dans le système électrique, la concurrence fait augmenter les prix. Et je donne un exemple précis, pour obtenir le marché de la concession de Nouméa face à EEC, Enercal a fait de très importants investissements et a recruté. Tous ces investissements ont été pris dans le système électrique et financé par lui, avec pour résultat de perdre la concession de Nouméa. EEC et Enercal se sont fait concurrence à l’Île des Pins, pour remporter le marché, Enercal a proposé d’enterrer l’ensemble du réseau, les 300 millions que ça a coûté ont été pris en charge par le système électrique. Il faut garantir des revenus aux opérateurs, mais ils doivent réaliser des économies de gestion et de masse salariale.

Les maires ont-ils raison de protester ?

CG : Oui et pour trois raisons. D’abord, et comme pour les particuliers, on ne revient pas sur les contrats en cours, on ne revient pas sur ce qui a été signé et fait l’objet de mises en concurrence, et inscrits dans les différents budgets. Ensuite le manque de concertation, quand on demande autant d’efforts aux collectivités, la moindre des choses était de les entendre et de les associer. Et puis enfin, les communes, collectivités de grande proximité qui réalisent des investissements lourds au profit de leurs administrés, n’ont pas les moyens de lever l’impôt, aussi leur enlever une des seules ressources dont elles disposent, c’est les mettre en danger.

Que peut-il se passer si la délibération-cadre était adoptée jeudi ?

CG : J’imagine qu’un certain nombre de recours seront déposés, soit par des collectivités, soit des entreprises ou des particuliers. Les Calédoniens ont subi plusieurs augmentations de carburant, plusieurs augmentations des prix de l’électricité alors que l’on a l’électricité la plus chère de France. Imposer une double augmentation électricité/carburant, c’est faire peser des risques sociaux extrêmement forts. Si la TET (Taxe d’équilibre Tarifaire) avait été mise en place en 2023, nous aurions subi une augmentation de 20 francs du litre. Ce n’est pas fictif, et comme les cours du pétrole n’ont pas bougé… Normalement les pouvoirs publics œuvrent pour que les prix des carburants n’augmentent pas trop, en imposant un prix-plafond. Là, on vient mettre un prix-plancher sous lequel l’essence ne pourra pas baisser. C’est une invention juridique qui va venir encore pénaliser le pouvoir d’achat des Calédoniens, ça fait 5 milliards en plus qui vont être pris dans la poche des Calédoniens.

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