Jean-Louis P. a été reconnu coupable du tir mortel sur un jeune qui était en train de voler son véhicule en février 2021, à Boulouparis. La cour d’assises a écarté l’intention d’homicide et n’a pas décerné de mandat de dépôt. L’accusé est sorti libre du Palais de justice.
Il s’appelait Stéphane M. et à 24 ans et un parcours de délinquant derrière lui, il est mort agonisant sur une propriété de Port-Ouenghi. Résumer Stéphane M. à ses dix-neuf mentions sur son casier judiciaire et ses « délires » de voler des voitures pour rentrer chez lui à Thio serait aussi une insulte à sa mémoire. Sans avocat pour représenter le défunt, c’est son père, seul, qui a parlé de la victime et de ce qu’il était. Il s’appelle Jean-Louis P., 60 ans, et personne n’aurait pu imaginer qu’il serait un jour devant une cour d’assises.
Ce n’est ni un meurtrier de sang-froid, ni un justicier sans foi, ni loi. Rien dans le dossier, pas une pièce ni un témoignage, ne vient écorner l’image de ce père de famille « produit de la Nouvelle-Calédonie », territoire qu’il n’aura quitté qu’une seule fois de toute son existence, « attaché et amoureux de son mode de vie », a clamé son avocat, Me Martin Calmet. Reconnu coupable de coups mortels, c’est-à-dire de violences volontaires ayant entrainé la mort sans intention de la donner, la cour ayant décidé d’écarter la qualification de meurtre, ce retraité de la SLN, 35 ans passés à gravir les échelons à l’usine de Doniambo, a écopé de sept ans de réclusion criminelle après une journée et demi d’une audience qui s’est tenue dans le calme et la sérénité malgré les craintes de débordements au regard du fort retentissement qu’avait provoqué cette affaire sur le territoire.
Une intention de tuer ? La cour l’a écarté
Au terme d’une heure d’un réquisitoire équilibré à l’issue duquel il a requis la peine de 7 ans d’emprisonnement, l’avocat général Yves Dupas a pilonné ce que des milliers de Calédoniens avaient clamé aux portes du Palais de justice et sur les réseaux sociaux sans même connaître le dossier : Jean-Louis P. aurait agi en état de légitime défense, critiquant l’inaction des forces de l’ordre et de la justice face à la délinquance. Oui, « les cambriolages et les vols de voitures génèrent mécontentement, désarroi, lassitude et provoquent un sentiment d’insécurité, a introduit Yves Dupas, mais le droit français rejette toute organisation d’auto-défense, aucun citoyen ne peut se faire justice soi-même, tout comme elle interdit de donner la mort pour protéger les biens matériels ». Au procès, la défense ne s’est d’ailleurs jamais invitée sur ce terrain car la légitime défense ne pouvait pas tenir dans cette affaire.
Après avoir entendu des bruits suspects sous son carport, cette nuit du 3 au 4 février 2021, Jean-Louis P. s’est saisi d’un fusil de chasse qu’il avait rangé sous son lit après le conflit de l’usine du Sud, l’a armé et a fait feu une première puis une seconde fois sur les deux intrus qui avaient pénétré sur sa propriété pour lui voler son Nissan Patrol. D’ordinaire, les chiens sont dehors mais en raison du passage d’une dépression tropicale, ils étaient restés à l’intérieur. D’ordinaire, des lampes extérieures s’éclairent la nuit quand quelqu’un passe mais, fonctionnant avec des panneaux solaires et en raison de la météo, elles n’avaient pas pu se charger suffisamment. « La mort de Stéphane M. n’est ni un accident, ni un geste de légitime défense, ni même une inattention dans l’utilisation de l’arme. C’est la conséquence d’un tir orienté vers la victime », a encore martelé l’accusation.
Et si la réaction du sexagénaire est « disproportionnée » car ce jeune de Thio « ne le menaçait pas directement, ni même son épouse », Yves Dupas a demandé aux magistrats et aux jurés de ne pas retenir l’intention d’homicide, condition obligatoire pour retenir la thèse du meurtre. « Ce n’est pas clairement démontré dans le dossier », a-t-il poursuivi, retenant le critère d’un « tir unique» qui intervient dans « une obscurité totale ». Un élément qui est si souvent revenu au cours des débats « tant il pèse dans le dossier ». Car cette nuit noire permettait-elle au sexagénaire de « viser délibérément une zone vitale de la victime ? ». L’avocat général n’en est pas convaincu. La cour a suivi ce point.
Rongé par les remords
Dans cette affaire si singulière, la défense a conjuré les jurés à « rester libre » car la « justice n’est pas symbolique, médiatique ou politique. Vous n’êtes pas obligés de faire passer un message par votre décision », a plaidé Me Martin Calmet pour qui « la peine ne soulagera personne et ne fera jamais revenir Stéphane M. ». Pour mieux convaincre la cour que Jean-Louis P. n’était pas animé d’une envie de tuer au moment où il appuie sur la détente, le conseil a évoqué un « tir réflexe au coin de sa maison », un « tir de peur », un « tir pour protéger sa famille ». Sans histoire – mis à part un coup de feu en l’air il y a quatre ans pour faire fuir des voleurs dans une propriété voisine -, père et grand-père aimant, Jean-Louis P. « n’était pas formaté pour tirer sur quelqu’un, pour tuer. Le sort de Jean-Louis P. a basculé en cinq secondes pour un délire d’un jeune de 24 ans ».
Il reste aujourd’hui une vie détruite, celle de Stéphane M., et un homme, Jean-Louis P., dont l’existence ne sera plus jamais la même, rongé par les remords d’avoir franchi volontairement les limites de l’interdit. « L’idée d’avoir pris une vie lui est insupportable », a continué l’avocat dans sa plaidoirie, appelant avec force la juridiction à ne pas incarcérer son client. « A quoi bon la prison dans le cas de Jean-Louis P.? La peine ne rime pas forcément avec la prison, vous avez toutes les possibilités ».
De la détention ?
A 9h45, la cour et les jurés, la mine grave, se sont retirés pour délibérer. Ils ont pris moins de deux heures pour livrer leur intime conviction. Si ce dossier ne ressemble à aucun autre, c’est aussi parce que Jean-Louis P. s’est présenté au Palais de justice avec un bracelet électronique à la cheville.
Après quinze jours d’isolement au Camp-Est à l’issue de sa mise en examen, la justice avait accepté qu’il soit assigné à résidence en attendant son procès. Il a connu 1004 jours (deux ans et neuf mois) avec un bracelet électronique, un temps qui sera décompté de sa peine de prison. Avec sept de réclusion criminelle, le sexagénaire peut espérer être incarcéré seulement quelques semaines. Ce sera au juge d’application des peines d’en décider. En attendant, Jean-Louis P. est sorti libre du prétoire, applaudi par sa famille et ses proches devant l’enceinte judiciaire.
Jean-Alexis Gallien-Lamarche