Portables, cannabis et corruption : un vaste réseau de livraison démantelé au Camp-Est

La police nationale a opéré un coup de filet en interpellant sept personnes soupçonnées, à des degrés divers, d’avoir introduit des téléphones et de la drogue pour les détenus de la prison de Nouméa depuis l’an dernier. A la tête de ce trafic, un homme qui avait réussi à corrompre un ouvrier pour faire passer la marchandise.

Certaines livraisons ne connaissent pas de frontières. Et les postes de sécurité, les portiques de détection et les barbelés à trois mètres du sol n’y changent rien. D’après nos informations, les policiers de la direction territoriale de la police nationale (DTPN) viennent de conduire une importante opération judiciaire qui a permis de démanteler un vaste réseau qui alimentait les détenus du Camp-Est en cannabis et en téléphones portables.

Un marché parallèle au sein même de l’univers carcéral qui répondait à des procédés bien rôdés et qui tournait à plein régime depuis, au moins, l’année dernière grâce à de nombreux intermédiaires. C’est il y a seulement quelques jours que l’affaire parvient aux oreilles des enquêteurs du service de police judiciaire et de l’unité de lutte contre les stupéfiants : au petit matin de mardi, un véhicule de service d’une entreprise BTP passe les grilles du centre pénitentiaire, comme à son habitude, pour un chantier de rénovation des cellules des bâtiments du « milieu ouvert ». De prime abord, il n’y a rien de suspect. Mais le flair d’un surveillant pénitentiaire va tout bouleverser.

Car au moment de la fouille méticuleuse du véhicule, le comportement du chef de chantier attire justement l’attention. Il semble agité, inquiet. Et pour cause. Caché derrière la banquette arrière, les agents pénitentiaires mettent la main sur un sac à dos. La découverte a de quoi intriguer. A l’intérieur, six paquets enroulés dans du scotch. Ces colis, dont certains portaient l’inscription d’un surnom d’un détenu, contiennent six téléphones portables avec écouteurs et chargeurs et une centaine de grammes d’herbe de cannabis. La prise est rare.

Attiré par le gain financier

L’officier pénitencier et les équipes de surveillants prennent aussitôt en charge les suspects et les repoussent du sas de sécurité pour éviter d’éventuels débordements avec la population carcérale. La police nationale est informée, et l’enquête démarre ainsi.

Les auditions du chef d’équipe – ses collègues seront rapidement mis hors de cause – et les investigations diligentées tambour battant permettent, en un temps record, de découvrir que ce suspect, âgé de 29 ans et déjà connu de la justice, était une pièce maîtresse de ce vaste réseau. Contre une rémunération d’environ 10 000 francs, il était chargé de faire passer clandestinement de la drogue et des portables, a détaillé à La voix du Caillou une source proche du dossier, en profitant de ce chantier pour pénétrer à l’intérieur des murs du Camp-Est.

Une fois qu’il avait réussi à passer les portiques de sécurité et les fouilles, il remettait systématiquement la marchandise à un « auxiliaire » – des personnes détenues qui travaillent pour l’administration pénitentiaire à des tâches comme le ménage, la buanderie, la cuisine… – au travers d’une petite ouverture rectangulaire de visionnage de porte. Un système qui ne permettait donc pas à l’ouvrier de savoir à qui il livrait les colis pour « cloisonner » toutes les étapes de la livraison. L’opération requérait la plus grande discrétion et devait suivre un protocole bien établi à l’avance, de quoi ne pas éveiller les soupçons des surveillants.

Peu à peu, les fins limiers de la police nationale ont compris que ce suspect n’était qu’un maillon d’une organisation plus structurée qu’ils ne pouvaient l’imaginer au départ. Car l’artisan n’était en rien à l’origine des colis. Il n’avait qu’à attendre que son téléphone sonne. Au bout du fil, des complices lui donnaient rendez-vous pour lui remettre les paquets soigneusement emballés. Sans poser la moindre question, il recevait ensuite les consignes de la livraison et s’exécutait. Attiré par le gain financier, il avait opéré une dizaine de passages au sein du Camp-Est, introduisant environ une trentaine de colis.

Un donneur d’ordre et des intermédiaires

D’après nos informations, au moins deux détenus pilotaient ce trafic depuis l’intérieur même des cellules du Camp-Est. L’un d’eux, âgé de 33 ans et considéré comme dangereux, n’en était pas à son premier coup d’essai.

Fin septembre, il avait été condamné par la justice pour son implication dans un réseau similaire pour lequel un surveillant pénitentiaire est impliqué – il conteste les faits et sera jugé le 18 juillet prochain. Condamné à 17 ans de réclusion criminelle par la cour d’assises en juillet dernier pour le viol d’une femme à la sortie d’une boîte de nuit de Nouméa et des violences avec arme sur une jeune en voiturette et une masseuse entre février et mai 2021, il apparaît dans ce dossier comme le principal donneur d’ordre.

Les policiers nationaux sont également parvenus à reconstituer le cercle proche qui agissait autour de ce trentenaire. Une femme a ainsi été identifiée et arrêtée pour son rôle déterminant dans cette affaire en réussissant à recruter des personnes chargées de l’achat du cannabis et des portables, de la confection des paquets et à corrompre ceux qui pouvaient avoir un accès privilégié au sein de l’établissement pénitentiaire. Un maillage complexe qui était censé brouiller les pistes pour ne pas remonter jusqu’à la tête du réseau.

Technicienne informatique, jardinier ou encore agent logistique, autant de personnes insérées dans la société qui ont joué un rôle dans ce business lucratif qui a prospéré pendant de nombreux mois. Chez l’un deux, les enquêteurs ont retrouvé en perquisition des colis déjà emballés et prêts à être livrés.

Une réponse judiciaire rapide

Poursuivis pour « remise irrégulière de correspondance, somme d’argent ou objet à un détenu », cinq des sept suspects ont été déférés jeudi après-midi devant le procureur de la République qui a fait le choix procédural de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC).

Les deux détenus qui pilotaient l’organisation ont écopé de six et huit mois de prison ferme. L’ouvrier a été sanctionné de quinze mois de prison dont neuf avec sursis et un bracelet électronique pour la partie ferme. Deux autres intermédiaires ont été condamnés à six mois d’emprisonnement et des amendes de 20 000 et 40 000 francs. Un sixième complice sera jugé dans les prochains mois.

Cette première vague de condamnations ne signe pas la fin de la partie. Les policiers vont poursuivre leurs investigations pour déterminer si d’autres personnes ont pu aider à la préparation des colis ou à les faire passer secrètement au Camp-Est.

Jean-Alexis Gallien-Lamarche

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