En raison d’un non-transfert de compétences des lois françaises en Nouvelle-Calédonie, les familles homoparentales se retrouvent lésées lors des procédures de séparation.
Jeanne* s’est mariée en Nouvelle-Calédonie. Elle l’a fait dans le cadre de la loi du mariage pour tous, promulguée le 17 mai 2013. « Avec mon ex-femme, on s’est rencontrées, aimées et puis on s’est mariées », raconte-t-elle. Vient ensuite l’envie de faire un enfant : « comme elle a quatorze ans de moins que moi, on a pris la décision que ce serait elle qui porterait le bébé ». Jeanne a eu un grave accident à la hanche donc elle ne pouvait de toute manière pas porter l’enfant sans de graves conséquences sur sa santé. Le couple entame des démarches en Nouvelle-Zélande mais Marjorie*, l’épouse de Jeanne, ne « voulait pas tous les traitements hormonaux ». « Donc, nous avons fait ça sur le territoire, à l’ancienne, avec une seringue et un donneur » qui n’était rien d’autre qu’un « copain » à elles.
Jeanne est sous le choc quand, à la naissance de l’enfant, elle se rend en mairie pour reconnaître sa fille. « Quand Marjorie était enceinte, nous nous sommes renseignées. Nous avons vu que la loi en France était dans notre sens, dans la mesure où nous sommes mariées, donc naturellement son enfant était aussi le mien. C’est comme ça qu’on le voyait. Sauf que, quand notre fille est née en 2020, toute fière je suis allée la déclarer à la mairie de Nouméa. On m’a fait venir une cheffe de service qui m’a expliqué que la loi n’était pas applicable ici. J’aurai pu être n’importe qui, qui passait dans la rue pour déclarer l’enfant, cela aurait été la même chose. La Nouvelle-Calédonie n’avait pas coché les bonnes cases. Je suis tombée des nues parce que pour moi, ici on est en France, c’était autant mon enfant que le sien », confie Jeanne, avec émotion.
« Dépression post-partum »
Cette histoire de « case » se justifie par un non-transfert de compétences des lois françaises en Nouvelle-Calédonie. Maître Annie Di Maio l’explique ainsi : « Les textes de Métropole ne sont pas applicables pour la plupart ici, parce qu’en raison du transfert des compétences en 2013 du Code civil, toutes les lois métropolitaines sur le droit des personnes ne sont pas applicables, car personne ne les vote au Congrès. Nous sommes restés bloqués en 2013, ce qui est quand même très préjudiciable. Nous avons douze ans de retard. »
Pour une mère qui n’a pas porté l’enfant, il est quasiment impossible de lui accorder une autorité parentale. Maître Annie Di Maio s’est beaucoup occupée de couples homoparentaux en séparation. Elle dresse un bilan de ces affaires : « Effectivement, on avait très souvent une mère qui portait le ou les enfants et puis l’autre qui, évidemment, n’avait aucun droit juridiquement sauf le droit des tiers. J’ai obtenu systématiquement, malgré l’époque, des droits de visite et d’hébergement mais pas d’autorité parentale. »
Pour avoir un droit de filiation sur son enfant, Jeanne a dû faire une procédure d’adoption plénière. Elle commence cette démarche pendant la Covid-19. Son acte de naissance est à Toulouse, le recevoir « lui a pris des mois ». Pendant ce temps, la situation se dégrade avec Marjorie, qui fait une dépression post-partum. « Elle a été diagnostiquée. Marjorie a tout fait : le pré-partum, le post-partum parce qu’elle est alcoolique. La situation s’est envenimée, nous avons fini par nous séparer en mars 2022, malgré tout plein de choses. J’ai fait tout ce que j’ai pu pour sauver ma famille. Malheureusement, elle a choisi l’alcool. Cela a fini dans la violence, elle m’a étranglée alors que j’avais notre petite dans les bras. Marjorie était complètement saoule, on l’a placée en garde à vue, sale histoire quoi. C’est là où l’enfer a commencé pour moi parce que c’est elle qui l’a porté. Malgré le fait qu’elle soit alcoolique, instable, qu’elle ne soit pas capable de s’occuper ni d’elle-même ni de notre fille toute seule, la loi est de son côté », déplore Jeanne.
« Son ex-femme avait tous les droits »
S’ensuit une bataille juridique avec Marjorie. « J’ai perdu la garde quand notre fille commençait à parler (…) Elle me l’a enlevée en octobre dernier. Je n’ai pas le droit de voir ma fille, de savoir comment elle va, rien, alors qu’on était en garde alternée. On m’a arraché ma fille du jour au lendemain », se lamente Jeanne. Avec Maître Di Maio, Jeanne monte un dossier pour faire appel de cette décision : réponse attendue en octobre prochain. « Si je réussis, je n’aurai pas vu ma fille pendant un an. Si je ne réussis pas, c’est fini, je ne vois plus ma fille. Je n’arrive vraiment pas à le concevoir. » Le donneur de sperme, moyennant de l’argent, s’est rendu à la mairie de Koumac pour reconnaître l’autorité parentale de l’enfant de l’ex-couple, empêchant ainsi à Jeanne toute procédure d’adoption. Maître Di Maio se bat aujourd’hui pour « un droit de visite et d’hébergement ».
Jeanne n’est pas la seule dans cette situation. Elle a une amie à Bourail qui n’a plus le droit de voir ses enfants, alors qu’elles étaient pacsées. « Carrément, elle, son ex a quitté le territoire avec ses deux enfants. Elle n’a pu rien dire, elle n’a pu rien faire. Son ex-femme avait tous les droits », raconte Jeanne en fondant en larmes. « Passer un an sans ma fille, cela me déchire le cœur à chaque moment de la journée. Je ne l’ai pas portée mais je l’ai désirée autant » que celle qui l’a fait, « je l’ai accompagnée tout autant pendant la grossesse. Tant que je ne retrouve pas ma fille, le reste du monde peut exploser. Je veux juste retrouver ma fille », dit Jeanne en resserrant ses poings contre sa poitrine, comme pour serrer sa fille de 3 ans dans ses bras.
« Très violent »
Emeline* était pacsée avec son ex-femme, désirant une grande famille, chacune des deux portent un enfant avec un donneur commun. Au moment de la séparation, le couple se dépacse. Emeline saisit la justice pour être reconnue comme parent social. « La procédure a été enclenchée en 2015 quand elle m’a menacé de ne plus voir ma fille. Cela a été compliqué pour moi. J’aurais aimé obtenir une garde alternée. J’ai eu un droit de visite et d’hébergement croisé avec les deux enfants. Pour moi, c’est déjà une première victoire. Je me suis battue pour que les enfants restent frères et sœurs, là je considère qu’à 12 et 14 ans c’est gagné maintenant, il y aura toujours un lien entre eux. Je sais qu’ils resteront forts l’un pour l’autre. » Emeline a l’autorité parentale sur son fils mais elle ne voit sa fille que « cinq jours par mois et la moitié des vacances ». Malgré son optimisme, elle fustige cette loi, différente en comparaison avec les couples hétérosexuels. « Mes amis ne sont pas homos. Quand je leur en parlais, j’ai vraiment eu le sentiment d’avoir à traverser ça seule. Ils ne comprendront jamais, ils ne peuvent pas se projeter à ma place, à aucun moment. Eux, quand ils ont un enfant, au moment de la naissance les deux ont l’autorité parentale. Ce qui est important quand on fait des enfants, c’est de pouvoir les élever tout au long de leur vie. Quand on nous retire potentiellement ce droit, c’est très violent. Moi, maintenant, je m’estime heureuse avec un droit de visite et d’hébergement mais cela reste très frustrant de ne pas pouvoir voir ma fille la moitié du temps, j’ai l’impression de l’avoir un quart du temps (…) Je suis lésée, dans notre relation, dans mon éducation… Je n’élève pas mes enfants de la même manière parce qu’il y en a un que j’ai tout le temps. Je n’ai pas le même rapport avec lui qu’avec elle, où je lâche sur beaucoup de choses. »
La loi sur le mariage pour tous
Dans le cadre de la loi du 17 mai 2013 sur le mariage pour tous, il est possible de faire « un établissement simultané de la filiation » au cours d’une « déclaration de naissance » à « un officier de l’état civil » (article 11). L’article 14 de cette même loi indique que « les mesures relevant du domaine de la loi » sont « applicables avec les adaptations nécessaires » en Nouvelle-Calédonie. « L’ordonnance prévue doit être prise dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi », précise le texte. Jeanne le dit elle-même : « Normalement, au niveau de la parentalité, à partir du moment où on est en couple homoparental, encore plus quand on est mariés, j’aurais dû avoir des droits. Si nous avions été en France, j’aurais eu des droits. À la naissance, c’était clair et net que j’avais des droits de filiation. Parce qu’on est ici, je n’en ai pas parce qu’ils ont oublié de cocher la case. La Nouvelle-Calédonie ne l’a pas mis dans la loi quand ils ont fait le transfert de compétences ici. Il faudrait juste qu’ils appliquent la loi dans sa totalité. »
Le droit des tiers et la loi sur la PMA
Le droit des tiers utilisé par Maître Annie Di Maio pour défendre ses clients homoparentaux est l’article 371-4 alinéa 2 du Code civil : « Si tel est l’intérêt de l’enfant, le juge aux affaires familiales fixe les modalités des relations entre l’enfant et un tiers, parent ou non, en particulier lorsque ce tiers a résidé de manière stable avec lui et l’un de ses parents, a pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation, et a noué avec lui des liens affectifs durables ». L’avocate revient sur l’utilisation de cet article : « C’est une construction qui a été faite par le Code civil pour permettre, par exemple, quand vous aviez un beau-père ou une tierce personne qui a été très investie auprès d’un enfant, de donner des droits aux beaux-parents. On pouvait prévoir, quand il y avait des liens d’affection très importants, un droit de visite. Mais ce droit des tiers, cela a été le biais par lequel on a donné des droits au second parent dans les familles homoparentales. Entre-temps, il y a eu effectivement le mariage pour tous. On pouvait faire des adoptions simples, mais cela a été facilité par le mariage pour tous. Quand vous êtes le conjoint marié à un parent qui a un enfant, l’adoption est vraiment simplifiée. »
À la suite de la loi sur la procréation médicalement assistée (PMA), en vigueur depuis le 2 août 2021, « la filiation est établie à l’égard » de la femme qui n’a pas porté l’enfant, par une déclaration de « naissance à l’officier de l’état civil, qui l’indique dans l’acte de naissance » (article 342-11). Maître Annie Di Maio décrit cette procédure comme une « simple formalité » : « L’autre parent fait une reconnaissance anticipée de l’enfant. Après la naissance, cela passe par le procureur, c’est une simple formalité, on n’a même plus besoin de passer par les procédures d’adoption. C’est pour vous dire à quel point le législateur français a souhaité donner une place à l’autre parent qui n’a pas porté l’enfant, afin qu’il ait des droits équivalents parce que cela n’avait pas de sens. Ce n’est pas parce que vous êtes une famille homoparentale que vous devez avoir moins de droits qu’une famille classique », s’exclame-t-elle.
Maître Claire Conti-Ghiani précise cette loi sur la PMA : « Il est prévu que l’autorité parentale soit accordée, en cas de déclaration conjointe à l’autre mère, à condition que cela passe par un centre agréé. Mais dans tous les cas de figure où ce sont des dons de spermatozoïdes entre amis, cela ne donne effectivement pas le droit à l’autorité parentale. L’autre mère est obligée d’adopter l’enfant pour avoir les droits. Là, elle se retrouve comme juste un tiers qui a eu un rôle dans l’éducation de son enfant qui, à ce titre, peut demander un droit de visite et d’hébergement mais ponctuel, pas du tout comme des droits de parents, mais plutôt comme des grands-parents, des personnes extérieures ou des tiers. »
Un « traumatisme occasionné par mes propres choix de vie »
Maître Claire Conti-Ghiani a elle-même été confrontée à des difficultés concernant la garde de ses enfants. Elle a eu deux enfants avec son ex-mari. Lors de leur séparation, Claire Conti-Ghiani demande à avoir ses enfants en garde alternée pour s’installer avec sa compagne. « À l’époque, le juge en première instance, qui avait statué dans mon dossier, était lui-même homosexuel. Il avait rendu une décision en fonction de l’intérêt des enfants sans évidemment faire de discriminations sur ma vie privée. Par contre, la cour d’appel a réformé la décision. Sa motivation était vraiment pour moi, d’un autre temps. » En effet, en 2015, le juge aux affaires familiales avait fixé la résidence en alternance des enfants. Le père fait appel de la décision. En 2016, les magistrats de la cour d’appel réforment cette décision pour fixer la résidence habituelle des trois enfants chez le père. « La cour d’appel a considéré qu’il fallait prendre en compte “le traumatisme occasionné par mes propres choix de vie” pour fixer la résidence habituelle des enfants chez le père », précise Claire.
« Toujours est-il que moi, à la suite de ça, j’ai quand même été contrainte de quitter ma compagne pour pouvoir habiter seule et remettre en place une résidence afin d’avoir mes enfants. Donc pour moi, cela a quand même eu une incidence importante sur mes choix de vie privée », s’exclame-t-elle. « On n’aurait pas imposé dans le cas d’un couple hétérosexuel, à la femme, si c’était elle qui était partie, de quitter son nouveau compagnon, pour pouvoir voir ses enfants en résidence alternée. Je me suis sentie vraiment discriminée », confie Maître Conti-Ghiani. L’avocate a été jugée sur « son lieu de travail », ce qui l’a encore plus touchée. « Pour moi c’était quand même douloureux, il fallait que je mène de front » une carrière et ce périple judiciaire. « C’est toujours difficile de se retrouver jugée par des magistrats sur mon lieu de travail. Ma vie privée y a été étalée, c’était compliqué pour mon intimité. C’était quand même dur de porter tout ce combat toute seule », avoue Maître Conti-Ghiani. « Dès que j’ai repris mon logement, il n’y a pas eu de difficultés, les enfants ont accepté de résider chez moi. Après, j’ai ressaisi le juge aux affaires familiales pour modifier la décision, mais il n’y avait plus d’opposition. J’étais toute seule. Le père ne s’est pas opposé non plus. Mais ce n’était pas ce que je souhaitais. Je souhaitais accueillir mes enfants au sein de mon couple reconstruit », conclut-t-elle.
Et pour les hommes gays ?
Maître Anne Di Maio revient sur le précédent juge qui était lui-même en famille homoparentale. « Il était en couple avec son compagnon. Comme les gestations pour autrui (GPA) ne sont pas autorisées en France, quand il était en poste à Mayotte il avait récupéré deux enfants abandonnés par leur mère, qui avait fait une délégation d’autorité parentale à leur profit. Comme lui évidemment il était concerné par cette question, il a beaucoup fait évoluer les choses. »
* Les prénoms ont été modifiés
Inès Figuigui
Actu.nc n°532 – 04/09/2024