« Il est possible que dans la structure politique, des responsables ont pu dessiner avec Christian Tein ce plan d’action »

La crise insurrectionnelle que traverse le territoire calédonien depuis maintenant trois mois n’épargne personne. En première ligne, vivement conspué par certains, salué pour son abnégation par d’autres, le procureur de la République Yves Dupas ne compte pas changer de cap et de méthode. Il prône un traitement judiciaire « rapide, diligent et proportionné » et assume son choix de qualifier la CCAT comme « une organisation criminelle ».

Le bilan des émeutes

La voix du Caillou : Les émeutes ont éclaté il y a trois mois désormais et la situation sécuritaire semble s’être améliorée. Diriez-vous que la crise est derrière nous ?

Yves Dupas : La crise, s’agissant du maintien de l’ordre public, semble effectivement être plutôt derrière nous avec toutes les réserves liées aux événements à venir, notamment au cours du mois de septembre. Mais l’institution judiciaire poursuit son activité intense par rapport au traitement judiciaire des infractions commises à l’occasion des exactions.

LVDC : De votre point de vue, avez-vous été confronté à une révolte politique ? Ou à une révolte sociale ?

Y.D. : Je pense que c’est un mouvement insurrectionnel sur fond de radicalisation identitaire. Ce ne sont pas des émeutes telles qu’on a pu les vivre en Métropole en 2023. Ce sont des agissements qui s’inscrivent dans un plan d’action qui a été déployé par des responsables de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT).

LVDC : Peut-on totalement mettre à l’écart le volet social de cette révolte ? Les émeutiers sont principalement des jeunes sans formation ni emploi, souffrant d’addictions fortes et dont la cellule familiale est souvent défaillante…

Y.D. : Je me suis posé la question. Je considère que la vulnérabilité de cette jeunesse a été largement exploitée par les commanditaires qui ont pu s’appuyer sur des jeunes en déshérence, des jeunes en rupture avec le milieu tribal ou le milieu familial, des jeunes qui ont pu, le cas échéant, recevoir quelques contre-parties matérielles (alcool et autres produits) moyennant leur participation active à ces mouvements.

LVDC : Avec du recul, comment analysez-vous le fait que les autorités n’ont rien vu venir ce 13 mai ?

Y.D. : Nous avions eu quelques procédures liées à des formes de contestation de l’autorité et de l’État et je pense notamment à l’attaque de la gendarmerie de l’île des Pins, le 8 avril 2024. Il y avait également des éléments nous laissant percevoir une hausse des tensions autour de l’avenir institutionnel. Mais en aucun cas, le parquet ne pouvait imaginer le degré de violence et l’ampleur des événements à compter de la nuit du 12 mai.

LVDC : Considérez-vous qu’il y ait eu une défaillance des services de renseignement ?

Y.D. : Je ne peux pas répondre à cette question.

LVDC : Avez-vous compris la « rage destructrice » de ces jeunes émeutiers ?

Y.D. : Je suis convaincu que cette rage destructrice a été préparée et planifiée, ce qui vient nous confirmer qu’il y avait bien un plan de déstabilisation. Cette rage n’est pas venue spontanément du jour au lendemain. Elle a été minutieusement fomentée par des commanditaires pour obtenir une participation particulièrement active et violente d’un certain nombre de jeunes émeutiers.

LVDC : Pensez-vous que des puissances étrangères aient pu jouer un rôle dans ces exactions ?

Y.D. : On peut effectivement s’interroger sur certains modes opéatoires déployés sur le terrain. Je pense, par exemple, à certaines formes de communication, comme l’utilisation de talkies-walkies, entre certains individus qui jouaient le rôle de relais entre la chaîne de commandement et les jeunes sur les barrages. Cela laisse supposer une logistique qui n’a pas pu être mise en œuvre dans l’urgence d’un mouvement spontané. Je pense aussi à ces bouches d’égout piégées avec des pics pour s’en prendre à l’intégrité physique des gendarmes. Ces méthodes d’action laissent supposer une formation, un encadrement, un accompagnement quasi-militaire. Et je ne pense pas que seul au sein de la communauté kanak, des personnes aient pu imaginer certains processus, certains modes opératoires. La question d’un accompagnement méthodologique dans ce déploiement de la violence par des puissances étrangères se pose. Nous n’avons pas la preuve, mais c’est l’objet, aussi, de l’information judiciaire visant les commanditaires qui pourra peut-être répondre à cette question qui est importante.

LVDC : Il subsiste encore des barricades de voisins vigilants dans Nouméa et le Grand-Nou méa. Est-il envisagé le recours à la force pour les retirer ?

Y.D. : Je veux, dans un premier temps, vous dire que les barrages des voisins vigilants ont été une modalité de protection des quartiers au plus fort de la crise. Et en aucun cas des formes d’action violente puisque nous n’avons que quelques procédures en cours liées à des altercations physiques ou verbales sur ces barrages. L’idée était de protéger les quartiers. Finalement, en quelque sorte, de venir appuyer la sécurité générale à Nouméa et le Grand-Nouméa. Aujourd’hui, il n’est pas prévu le recours à la force publique. Il n’est pas non plus prévu de diligenter des poursuites sur des entraves à la libre circulation. Ce sont des barrages qui ne visent pas à porter atteinte aux personnes.

LVDC : Début juin, vous aviez lancé des investigations pour faire la lumière sur l’agression présumée d’un policier à Tuband. Quelles sont les conclusions de l’enquête ?

Y.D. : Alors cette enquête est terminée, elle m’a été communiquée par les services de police pour déterminer les suites judiciaires à y apporter. Je peux simplement vous informer qu’il y a des contradictions importantes entre les déclarations du plaignant, les témoignages recueillis sur place et les constatations médico-légales. Aucune décision n’a été prise sur le fond à ce stade mais elle le sera prochainement.

LVDC : Le parquet avait ordonné des expertises sur des prélèvements réalisés sur des émeutiers qui étaient soupçonnés d’être sous l’effet de drogue de synthèse. Avez-vous eu des retours ?

Y.D. : Oui, sur la vingtaine de prélèvements, nous n’avons pas eu la confirmation de la présence de méthamphétamine.

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Propos recueillis par Jean-AlexisGallien-Lamarche

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