Avec plus de 38 000 habitants, Dumbéa est la ville de l’agglomération qui a connu le plus grand accroissement démographique ces dernières années. Qualifiée de ville-dortoir il y a encore vingt ans, la commune s’est économiquement et socialement développée pour devenir ce qu’elle est aujourd’hui. Une transformation d’image qui a connu un coup d’arrêt depuis le 13 mai. Si, après deux mois d’émeutes, un retour très progressif au calme semble s’être dessiné, Dumbéa porte encore les stigmates de ces dix semaines de violence. Yoann Lecourieux, le premier édile de la commune, fait un premier bilan.
La voix du Caillou : Monsieur le maire, tout d’abord, avez-vous été surpris par les émeutes qui ont touché le territoire ces dernières semaines ? Et quel a été votre rôle au commencement de ces émeutes ?
Yoann Lecourieux : J’ai été surpris par l’intensité, et le côté destructeur de la démarche. Surpris par cet aveuglement de tout casser, de tout incendier. Les biens privés, les magasins de proximité, les écoles, les équipements sportifs, tout ce qui sert à la population au quotidien. Tous ces services qui vont manquer durablement. Au début, on a eu le sentiment d’avoir été abandonné et délaissé, notamment les huit premiers jours où il y a eu beaucoup de dégâts sur la commune et très peu d’interventions des forces de l’ordre. Mon rôle a été d’organiser la défense de la commune. Mon rôle a été aussi de solliciter l’intervention des forces de l’ordre afin de libérer les voix de circulations.
LVDC : On a le sentiment que les violences se sont un peu cristallisées sur la commune, pourquoi ?
Y.L. : Je pense que Dumbéa est au cœur même de l’agglomération, c’est la commune qui a les frontières avec les trois autres (Nouméa, Mont-Dore et Païta, NDLR). Par ailleurs, c’est une commune qui a concentré, depuis plus de vingt ans, beaucoup de logements dits sociaux. Sur Dumbéa-sur-Mer et sur la Zac provinciale de Panda, il y a eu toute une politique (depuis 2004, ndlr) des différents dirigeants de la province Sud de mettre beaucoup de logements sur ces secteurs, peut-être qu’il n’y a pas eu un accompagnement suffisant tant au niveau des équipements qu’au niveau social. On voit maintenant les conséquences de ce non-accompagnement.
LVDC : Aujourd’hui, économiquement où en est la commune et va-t-elle pouvoir se remettre ?
Y.L. : Il faut d’abord préciser que plus de 130 entreprises ont été détruites ou endommagées, plus de 70 % du tissu économique de la commune a été touché. Néanmoins, nous sommes une ville de 38 000 habitants donc nous n’avons pas d’autre choix que de rebondir. Avec l’exécutif et avec tout le conseil municipal, nous avons cette volonté de rebondir. En sept jours, on a brûlé vingt ans de développement. Eh bien, j’ai envie de dire : il faut le reconstruire ! Oui, il y aura reconstruction.
LVDC : Vous êtes bien placé, étant membre du gouvernement, pour savoir que le contexte budgétaire général est très compliqué. Comment fait-on pour mettre en place cette reconstruction ?
Y.L. : L’urgence actuelle c’est d’abord de retrouver une certaine sécurité, c’est aussi de commencer une phase de démolition. C’est une phase importante pour des questions de sécurité sanitaire et de sécurité publique. Il est donc important de pouvoir faire « place nette ». Par ailleurs, beaucoup d’investisseurs privés attendent les retours des assureurs pour pouvoir commencer à démolir. Et puis il faut, parallèlement, se projeter sur de la reconstruction pour relancer l’économie.
LVDC : Quel est l’état d’esprit de vos administrés, un peu plus de deux mois après le dé but de ces émeutes ?
Y.L. : Les gens sont anxieux et en colère, ils sont sortis de la phase de sidération et sont entrés dans une phase de colère, due notamment à la lenteur du rétablissement de l’ordre. Toutefois, ils constatent quand même une amélioration, parce que les enfants retournent à l’école, parce que les personnes retournent au travail… Il y a une reprise de vie, mais il y a encore une colère due à tout ce gâchis. Les Dumbéens ont le sentiment d’avoir perdu ces vingt ans de progrès. Parce que s’il y a bien une commune qui a progressé en vingt ans, c’est la commune de Dumbéa. Il y avait un tissu économique solide, des aménagements très agréables, un niveau d’équipements sportifs important… On a perdu une grande partie de cela en une semaine. Et donc c’est ce sentiment de gâchis qui fait que les administrés sont en colère. Aujourd’hui, mon objectif c’est de dire : la ville de Dumbéa est là et elle renaitra de ses cendres.

LVDC : Un mot sur les infrastructures scolaires, qui ont été fortement touchées lors des émeutes. Où en est-on aujourd’hui à Dumbéa ?
Y.L. : Sur la commune, il y a quasiment 50 % des écoles qui ont été touchées, dont deux tout particulièrement : le groupe scolaire Louise De Greslan / Les Jacarandas et l’école Jack Mainguet. Hormis ces écoles qui ont été incendiées, toutes les écoles de la commune ont pu rouvrir, les collèges et le lycée ont également rouvert. L’école Jack Mainguet devrait rouvrir cette semaine et on espère qu’au 19 août, c’est-à-dire au retour des vacances, 100% des enfants de la commune seront scolarisés, y compris les enfants du groupe scolaire Louise De Greslan / Les Jacarandas, qui seront redispatchés dans les écoles avoisinantes. C’est une satisfaction pour le milieu enseignant, qui s’est fortement engagé avec nous, mais aussi pour l’ensemble des services municipaux, qui ont œuvré pour rétablir la sécurité des enfants, pour faire les rénovations et les réparations. Cela nous a déjà coûté plus de 50 millions de francs, et avec les contraintes financières que connaissent les communes ça commence à devenir très compliqué pour la Ville.
LVDC : Comment voyez-vous la suite, pour les semaines et les mois à venir, notamment concernant ce que l’on appelle le vivre-ensemble ?
Y.L. : Il va falloir réapprendre à vivre ensemble. Comme je le dis souvent, si on veut se faire la guerre, ça peut aller très vite, mais si on veut vivre ensemble, ça prendra du temps. Mais il faudra prendre ce temps-là, il n’y a pas d’autre solution. Je pense qu’il faut recommencer à vivre ensemble petit à petit pour reconstruire les liens qui nous ont unis. Je crois que c’est à nous, élus de proximité, d’accompagner les gens pour qu’ils reconstruisent ce lien. Parce que, quoi qu’il arrive, le monde mélanésien est en Nouvelle-Calédonie et tous les Calédoniens, qu’ils soient de nombreuses générations ou de cœur, vont rester vivre en Nouvelle-Calédonie. C’est avec cette diversité que l’on doit apprendre à vivre ensemble. Mais ça prendra du temps.
LVDC : Pensez-vous que c’est encore possible ?
Y.L. : Oui, je pense que c’est possible. Vous savez, je suis né ici, dans une famille vivant en Calédonie depuis de nombreuses générations, je suis obligé de vivre ici. Je pense qu’il y a plein de gens qui sont dans ma situation et je pense que nous sommes obligés d’apprendre à vivre ensemble. Et puis, quand on regarde bien, dans la commune, on peut voir qu’il y a des multitudes d’ethnies, il y a des multitudes de personnes qui vivent ensemble. Sur la commune, on a énormément de mariages mixtes, on a énormément de métissages, donc comment dire à ces gens de ne plus vivre ensemble ? C’est impossible.
Propos recueillis par Lionel Sabot