L’institution provinciale avait reconnu à deux espèces animales un statut juridique inédit dans son Code de l’environnement. Le tribunal administratif devrait suivre l’avis du Conseil d’État en annulant cette mesure audacieuse et inédite dans le droit français et calédonien.
C’était un principe innovant, qui vient de se fracasser sur l’autel de la répartition des compétences. En juin 2023, la province des îles Loyauté adopte une délibération sur les espèces protégées qui vient enrichir son Code de l’environnement. Tous les regards des juristes en droit de l’environnement sont alors tournés vers l’assemblée provinciale tant la mesure est audacieuse : en créant une nouvelle catégorie « d’entités naturelles sujets de droit », les élus confèrent aux requins et tortues une personnalité juridique.
Autrement dit, les « droits fondamentaux » et les intérêts de ces animaux totémiques dans la culture kanak peuvent être défendus en justice devant les tribunaux administratifs et judiciaires. Parmi ces droits reconnus aux espèces vivantes, on trouve ainsi le droit de « n’être la propriété de personne », le droit « de ne pas être gardé en captivité », le droit « de ne pas faire l’objet de mauvais traitements »… et celui « d’agir en justice » en étant défendus par le président de la province, des porte-paroles ou des associations agréées.
Le Haussariat demande une clarification
Cette décision avait été saluée par de nombreuses personnalités. Victor David, chercheur à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et qui avait ardemment travaillé sur le Code de l’environnement des Îles et la reconnaissance d’une protection juridique aux éléments de la nature – espèces animales, végétales, sites naturels et sacrés -, n’avait pas hésité à parler d’un vote qui fait « rentrer cet archipel dans l’histoire du droit de l’environnement ».
« Si de telles dispositions sont tout à fait inédites en droit français, elles participent néanmoins d’un mouvement, émergent, de reconnaissance de droits de la nature voire de la personnalité juridique à des entités naturelles », a exposé le rapporteur public du Conseil d’État, Laurent Domingo.
Mais voilà que cette disposition est aujourd’hui fortement remise en cause. Le Haut-commissariat de Nouvelle-Calédonie a, en effet, demandé au tribunal administratif de se prononcer sur la légalité de cette délibération, lequel a renvoyé l’examen du dossier au Conseil d’État. La raison ? Les services de l’État considèrent que les dispositions sur « les entités naturelles sujets de droit » méconnaissent « les règles de répartition des compétences » sur le Caillou.
Un régime qui pourrait être annulé
Dans un jugement du 31 mai, le Conseil d’État a jugé que la province des Îles avait innové en « modifiant le régime juridique applicable à certains animaux » mais qu’il avait pris le risque d’empiéter sur « le domaine du droit civil relevant de la compétence attribuée à la Nouvelle-Calédonie » via le Congrès. Les élus provinciaux n’étaient donc pas « compétents » pour reconnaître les droits des requins et des tortues marines.
Le dossier est donc revenu sur la table du tribunal administratif, jeudi. Fort logiquement, la rapporteure publique, Nathalie Peuvrel, s’est rangée derrière l’avis du Conseil d’État et a demandé que « le régime juridique des entités naturelles sujets de droit » soit annulé.
Le tribunal administratif rendra sa décision dans une quinzaine de jours.
Jean-Alexis Gallien-Lamarche