À Normandie, une semaine en enfer

Ce lundi matin, dès 6 h 20, un « raid » a eu lieu dans une rue étroite du quartier de Normandie, à Nouméa. Une ambulance a été volée puis incendiée. Les émeutiers ont assuré qu’ils reviendraient bientôt pour « tout cramer ». Deux riverains, témoins de la scène, témoignent. Ils se sentent abandonnés par les autorités.

Greg, 40 ans, est à bout de nerfs. « Je suis épuisé… mais ça n’a pas brûlé », fait-il remarquer au sujet de son habitation, qu’il protège comme il le peut, avec courage et abnégation. « On entend tout, on voit tout, mais qu’est-ce que tu veux qu’on fasse ? » Il s’assoit sur le trottoir, prend sa tête dans ses mains, tout en continuant de se confier. Il a tant de choses à dire. « Là, il y a beaucoup de monde dans la rue » ce lundi en milieu de matinée, c’est pourquoi « c’est la première fois en une semaine que je sors » aussi longtemps, car depuis lundi dernier « il n’y a personne dans cette rue, on est tout seuls la plupart du temps. Moi, je ne peux pas fermer l’œil » de la nuit. Et comme Greg garde aussi un œil ouvert le jour, pour surveiller qu’on ne vienne pas le voler, il ne dort pas.

Ce lundi matin, dès 6 h 20, soit vingt minutes après la levée du couvre-feu, il y a eu des problèmes dans sa rue, composée principalement d’entreprises. La tante de Greg a tout vu. « Ils ont commencé à ”claquer”, à ouvrir des trucs. Moi, je me cachais derrière les arbres pour ne pas qu’ils voient que je les regarde. On entend tout, mais on ne peut rien faire. Ils ont dit qu’ils reviendront. Tant qu’il y a quelque chose debout, ils reviendront. Si ce n’est pas cet après-midi, ils reviendront demain », raconte la dame.

« Tatoués jusque-là » 

Greg continue le récit. « Ils ont essayé de repartir avec les voitures ici, ils se sont retrouvés bloqués sur la barrière, ils ont voulu foutre le feu. Je leur ai dit : ”vous ne brûlez pas ici, parce que moi j’habite ici”. Ils ont poussé la voiture… avant de l’incendier », car « ils sont en mission ». C’était « un raid », résume-t-il.

« Il y a une partie qui était » plutôt calme, « mais il y a une autre partie » dans le groupe d’assaillants qui ne l’était pas du tout. « La bande, ils sont tatoués jusque-là », dit Greg en parlant de leurs visages. « Ils en ont rien à f…, eux ! Ils m’ont menacé ici, ils m’ont dit ”de toute façon on va revenir, donne-moi la Golf ou le pick-up, donne-moi une voiture ! » Malgré la présence d’un fusil harpon chez ses agresseurs, il n’a pas cédé. « La partie la plus agressive, les mecs tatoués jusque-là, ils sont avec d’autres qui sont, je suis sûr, des bons enfants, mais ils sont entraînés dans une spirale par les mauvais », observe-t-il.

Après l’incendie de l’ambulance du voisin ce lundi matin, et les menaces verbales et physiques, Greg a contacté les autorités. « J’ai appelé la police mais ils ne sont pas venus, et ils m’ont dit qu’ils ne viendront pas. Ça fait une semaine qu’on a ni pompiers, ni policiers. Personne n’est passé dans cette rue ! La police ne répond même pas ! »

« Ils sont missionnés, ça se voit »

A force de voir passer des émeutiers, qui ont brûlé plusieurs entreprises du secteur, dont une grande à 100 mètres de chez lui, il s’en est fait une idée précise. « Les méchants, il n’y en a pas beaucoup. Mais l’effet de groupe » fait qu’ils « emmènent des bons avec eux, ils emmènent des enfants inconscients, ils emmènent du volume : dans un groupe de quinze, il y en a trois mauvais et ce sont eux qui ont les fusils harpons et qui vont menacer ». Les bons, « tu les entends, ils disent ”arrêtes de dire ça au vieux, pourquoi tu parles comme ça…” Il y en a qui ont une mission. Ils sont missionnés, ça se voit, ils font ça comme un travail. Dès l’ouverture du couvre-feu il viennent, ils cassent ce qu’ils peuvent casser. » Puis « c’est très intense à partir de 16 h, parce que ça donne le temps de casser, de rentrer » dans les magasins, « de piller, de brûler et de partir pour 18 h », moment où commence le couvre-feu. « Donc tous les jours à partir de 16 h » la température monte, en même temps que la peur.

« Des gosses de 12 à 15 ans, garçons et filles… »

« Quand ils arrivent, on reste derrière la barrière pour montrer qu’il y a des humains », raconte la tante de Greg. « Quand tu vois que ce sont des gosses de 12 à 15 ans, garçons et filles… Il y a les grands qui les attendent plus loin, et quand ils ont fini de tout casser la voiture arrive, ils ramassent tout ce qu’ils ont (…) C’est super rapide. Quelqu’un a donné des formations. Il y a dû y avoir quelque chose qui s’est préparé depuis un moment. Les gosses, ils obéissent à ce que les grands leur mettent dans la tête. »

Plusieurs fois dans la semaine, Greg est sorti dans la rue pour dire aux jeunes d’arrêter leurs incendies, qu’ils allaient se blesser en cas d’explosion. Il n’a pas été entendu. Et ce lundi matin, c’est monté d’un cran encore avec ces menaces explicites. « C’est la première fois » depuis une semaine « que je tombe sur des très énervés, sur des très extrêmes », explique le quadragénaire. « Je ne pense pas qu’ils ont des armes à feu, parce qu’ils n’ont pas envie de se faire attraper : les armes ne se déplacent pas dans les raids », croit-il savoir.

Ce matin, « j’ai dit au jeune » qui conduisait l’ambulance volée « de ne pas brûler la voiture là : il l’a poussée et il l’a brûlée plus loin, mais il va quand même la brûler parce que c’est sa mission. Ils sont en mission », répète-t-il.

« Le chat qui se mord la queue ! »

Greg est pessimiste pour les jours à venir. « On va faire quoi ? Quand la police te dit : ”tu de débrouilles”. Quand t’appelles et qu’ils ne viennent pas. Alors, des fois, on a de la chance : on appelle la pluie et elle vient… »  Cela sera-t-il suffisant ? « Ils ne seront jamais assez de policiers. Ils vont les pousser jusque dans les maisons, puis le lendemain ils vont ressortir… » Sa tante intervient : « comme les cafards japonais ».

Greg reprend : « Ça ne peut pas s’arrêter. Il y en a qui disent : ”tant qu’on n’a pas rétabli l’ordre, on ne discute pas”. Mais c’est le chat qui se mord la queue ! C’est normal que ça n’avance pas ! Mais parlez tout de suite, vous n’avez pas besoin d’attendre : justement, c’est ça qui va rétablir l’ordre. » Politiquement, selon lui la solution doit être locale, pas nationale. « Il faut laisser aux gens d’ici la décision. Il y a des gens de France qui viennent parler, ils n’ont jamais mis les pieds ici, ils racontent n’importe quoi. »

Comme beaucoup de Calédoniens, il doute toutefois de la capacité des dirigeants politiques en place, de tous bords. « Ils ont un devoir d’anticipation. Nous-mêmes, quand on est entrepreneurs, on a un devoir d’anticipation. Eux encore plus, parce qu’ils ont la responsabilité non pas d’une entreprise, ils ont la responsabilité des gens. Il faut qu’ils anticipent ces choses. Ils ont des personnes tout à fait capables d’anticiper. Ils auraient dû anticiper », insiste-t-il.

« Ils ont lâché les chiens »

Greg se repasse le film de ces dernières semaines. Jusqu’au « lundi » 13 mai, juste avant que la situation explosive n’explose, « on entendait les appels de la CCAT, on entendait dire que ça allait commencer, mais personne ne pensait que ça allait exploser à un point pareil. On pensait que ça allait être comme d’habitude, on pensait qu’il allait y avoir une revendication, des blocages, des barrages filtrants (…) mais quand ça a débordé, c’est le moment où ils ont lâché les chiens. Un chien enragé, une fois qu’il est lâché tu ne peux plus le rattraper, c’est fini. Il ne faut pas lâcher les chiens, c’est tout. C’est trop tard, maintenant. Personne n’arrive plus à raisonner personne, personne n’arrive à leur dire quoi que ce soit : ce sont déjà des gens qui n’écoutent pas à la base, c’est déjà des rebelles à la base, tu crois que quelqu’un va écouter (Sonia) Backes, et encore plus le Haussaire ? »

Greg croit plus en la force du ciel. « Pour l’instant, on espère la pluie. Ça calmerait un peu, mais pour combien de temps ? » Sa tante ne cache pas son inquiétude. « J’ai appris qu’une fille qu’on connaît, ils l’ont fait sortir puis ont brûlé sa maison » dans un quartier actuellement chaud. « Ensuite, ils viendront là, ça deviendra chaud ici aussi. »

Pour elle, pour Greg, et pour des milliers de Calédoniens, surtout des habitants du Grand Nouméa, il faudra du temps, probablement des semaines, voire des mois, avant que la peur ressentie tout au long de cette semaine en enfer ne soit plus qu’un mauvais souvenir.

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