Pour des raisons de droit, le procès de Philippe Gomès et de cinq autres personnalités de Calédonie ensemble pour détournement de fonds publics, qui devait se tenir de lundi à jeudi, a été renvoyé. Au parquet désormais de décider des suites à donner à ce dossier pour le moins complexe.
L’audience devait s’étaler sur quatre jours, elle aura duré deux heures. Cinq ans de procédure, cinq tomes de procédure, six prévenus, des centaines d’heures d’auditions… le tout pulvérisé pour un vice de procédure.
Le report du procès particulièrement attendu de l’ancien député Philippe Gomès et d’une partie de la galaxie Calédonie ensemble (Philippe Michel, Martine Lagneau, Sutita Sio-Lagadec et Silipeleto Muliakaaka), renvoyés devant le tribunal correctionnel pour répondre de détournement de fonds publics (via des emplois fictifs entre 2014 et 2018), ne fut pas une immense surprise. D’abord parce qu’il y a quelques jours, la venue de deux grands pénalistes du barreau de Paris, Mes Jean-Yves Le Borgne et Pierre Cornut-Gentille (qui a défendu François Bayrou dans l’affaire des assistants parlementaires du MoDem), avait été subitement annulée. Aussi, parce que les conclusions déposées par les conseils des prévenus à quelques jours de l’audience avaient, semble-t-il, toutes les raisons de prospérer.
Sur le terrain du droit
Ce fut donc une confirmation lundi matin. Les avocats de la défense n’avaient, en effet, pas caché leurs intentions : avant de venir au fond du dossier, ils mèneraient bataille sur le terrain du droit. Un à un, ils ont tenté de démonter ce dossier, ne se privant pas de cibler l’ancien procureur de l’époque, Alexis Bouroz, et de pilonner le travail de l’ancien juge d’instruction, Jean-Christophe Michard.
Défenseur de Sutita Sio-Lagadec, Me Martin Calmet est intervenu le premier pour demander à la juridiction de renvoyer le dossier auprès du ministère public au motif que l’ordonnance de renvoi du juge d’instruction « est insuffisamment motivée. Dans un dossier aussi sensible, on pouvait s’attendre à une procédure irréprochable ».
L’avocat, qui a été le premier à repérer cette « nullité », a fait observer aux magistrats que les juges d’instruction ont l’obligation, depuis une loi de 2007 prise pour éviter que le désastre judiciaire d’Outreau ne se reproduise, « de rendre une ordonnance irréprochable avec les éléments à charge et à décharge ».
Une « péripétie procédurale »
Une ordonnance « squelettique » dans « un dossier obèse » qui laisse « perplexe » Me Frédéric De Greslan, conseil de Philippe Gomès, Philippe Michel et Martine Lagneau. « L’ancien procureur et juge d’instruction se sont jetés sur cette affaire et nous ont produit un monstre juridique. Ils sont partis avec des promotions, preuve que ce dossier les a bien servis », prétend l’ancien bâtonnier.
Ce défaut d’exigence de motivation de l’ordonnance du juge d’instruction « pose des difficultés pour les droits de la défense » et pour un procès équitable, crucifie encore Me Cécile Moresco (pour Silipeleto Muliakaaka).
Fait rarissime, la procureure Fanny Philibert ne s’est pas « opposée » aux demandes de la défense, louant « un réquisitoire du parquet de 60 pages le plus détaillé possible » mais reconnaissant que « les arguments juridiques de la défense sont justement posés ». Même la province Sud, partie civile dans cette affaire, n’a pas émis d’objection à cette « péripétie procédurale », privilégiant « une procédure sécurisée et irréprochable » au cours de laquelle la province fera valoir « son préjudice » sans pour autant avancer de sommes à l’heure actuelle.
Un dossier loin d’être clôturé
Après une quinzaine de minutes de délibéré, les magistrats du tribunal correctionnel se sont ralliés aux arguments des avocats de la défense et renvoyé le parquet à mieux se pourvoir. Et voilà comment en quelques minutes, le dossier s’est écroulé.
Dès lors, que va-t-il se passer dans ce dossier qui empoisonne Philippe Gomès depuis 2019 ? Ce renvoi au ministère public ne devrait pas signer un abandon des poursuites ou l’effondrement du dossier. Deux possibilités s’offrent au procureur de la République : soit il demande au juge d’instruction de simplement « régulariser » son ordonnance, soit il lui ordonne « de rouvrir une information judiciaire et de réaliser tous les actes utiles à la manifestation de la liberté », analyse Me Martin Calmet.
Dans les deux cas, la vérité judiciaire ne se dessinera pas avant de longs mois. Présumés innocents, les leaders de Calédonie ensemble restent encore à ce jour mis en examen.
Jean-Alexis Gallien-Lamarche