Le tribunal administratif a considéré que les campagnes d’abattage de requins-tigres et bouledogues organisées par la mairie de Nouméa étaient « disproportionnées ». La juridiction a aussi jugé que l’interdiction de baignade n’était pas légale.
Les défenseurs de l’environnement peuvent sabrer le champagne. Pas tant pour la nouvelle année qui s’annonce mais bien pour la victoire qu’ils viennent d’obtenir face à la mairie de Nouméa et la province Sud. Dans deux jugements distincts rendus jeudi, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a entièrement donné raison à l’association EPLP (Ensemble pour la planète) qui avait attaqué les campagnes de pêche des requins et l’arrêté pris par la province Sud les autorisant dans des réserves naturelles. Ces mesures avaient été instaurées pour répondre aux attaques de squales – dont deux mortelles – de janvier et février derniers sur la plage du Château Royal.
Pour soutenir sa requête, EPLP avait avancé de nombreux arguments et notamment que les neuf campagnes de prélèvement prévues jusqu’à la fin de l’année n’avaient pas été « précédées d’une étude d’impact » ou d’une « enquête publique ». Leur avocate Me Céline Joannopoulos avait dénoncé des abattages « illégaux » dans « le seul but de plaire aux électeurs » et « sans aucune considération scientifique ». Il y a une quinzaine de jours, la rapporteure publique Nathalie Peuvrel avait repris ce raisonnement, affirmant notamment que « les mesures contestées ne s’appuient sur aucune étude scientifique » et qu’il n’existait « aucune donnée fiable » pour prouver que cette méthode était « efficace ».
Dans son jugement, la juridiction administrative a ainsi mentionné que la décision de la municipalité avait prévu « comme seule restriction des périodes de pêche mensuelles à durée limitée, mais sans définir ni jamais encadrer les modalités de capture, les lieux de pêche, ni même le nombre de spécimens concernés », alors même que « ce type d’activité entraîne par lui-même un risque réel et d’ailleurs avéré, de capture accidentelle d’espèces potentiellement protégées ».
Ces campagnes de régulation doivent donc être « regardées comme disproportionnées au regard du but de protection de la vie humaine poursuivi », sachant, poursuivent les magistrats, « qu’aucune étude scientifique précise n’a été menée pour connaître l’état des populations des espèces ciblées, ni les effets sur l’environnement de tels prélèvements ». Tous les autres arguments d’EPLP ont été rejetés.
Une dérogation qui doit être « limitée »
Mais l’association a réussi également un autre tour de force en s’attaquant à l’arrêté de la présidente de la province Sud pris en avril dernier qui autorisait la mairie de Nouméa à pêcher des requins-tigres et bouledogues dans les aires de gestion durable de l’îlot Maître, de l’îlot Canard et de la pointe du Kuendu. Suspendu par le juge des référés en septembre dernier, il vient d’être annulé par le tribunal administratif, ce qui avait été préconisé par la rapporteure publique.
Le jugement rappelle ainsi que « dans le périmètre d’une aire de gestion durable des ressources, le principe est celui de l’interdiction de toute pêche ». S’il est vrai qu’il est prévu « la possibilité d’une dérogation à ce principe vis-à-vis des espèces nuisibles », celle-ci doit être « limitée, soit à des fins de régulation, soit de manière encore plus restreinte à quelques prélèvements lorsqu’est en cause une opération scientifique ».
Dans ce cas précis, « il ressort des pièces du dossier que l’arrêté attaqué se borne à encadrer dans la durée les activités de pêche des requins-tigres et bouledogues dans les aires en litige, en limitant la période totale à 45 jours, et à spécifier les modalités de pêches autorisées, sans jamais restreindre le nombre de spécimens susceptibles d’être pêchés ». De quoi penser que « la dérogation en cause » ne peut pas être considérée comme « proportionnée à l’objectif de régulation qui était poursuivi ».
La mairie de Nouméa et la province Sud disposent d’un délai de deux mois pour contester les jugements et relancer l’affaire devant la cour administrative d’appel de Paris.