Présent au vernissage de l’exposition Carnets kanak, voyage en inventaire de Roger Boulay, le président du musée du Quai Branly-Jacques Chirac a répondu à nos questions.
Pouvez-vous nous dire un mot sur cette exposition ?
Emmanuel Kasarhérou : C’est une exposition en hommage à une trajectoire singulière, celle de Roger Boulay, qui pour des raisons médicales n’a pas pu se déplacer. C’est l’histoire de 36 années pour cet artiste et sculpteur, qui depuis 1979 et sa rencontre avec Jean-Marie Tjibaou, a réalisé un parcours incroyable à travers les musées du monde, pour collecter ces objets kanak dispersés, dans l’idée de rassembler ce qui est épars et de donner du sens aux histoires multiples contées par ces objets.
Pourquoi cette exposition ici au centre culturel Tjibaou ?
EK : C’est la première résultante d’un accord qui a été passé au début de l’année entre Branly et Mickaël Forrest, représentant du gouvernement pour la culture. Il est venu à Branly pour me demander ce qu’on pourrait faire pour dynamiser les relations entre Branly et la Nouvelle-Calédonie, et l’idée très rapidement est venue de présenter cette expo et de voir de quelle manière éventuellement d’autres expositions pourraient venir nourrir cette relation, puisque le musée du quai Branly, c’est non seulement cette présentation d’objets, mais c’est la production d’une dizaine d’expo par an qui tournent sur l’ensemble de la planète, de moins de 100 m2 comme celle-ci à 2 000 m2. Pourquoi ne pas les faire passer à un moment donné par Nouméa alors qu’elles vont à Taïwan et à Sydney ?
Ce patrimoine kanak dispersé dans le monde, l’avez-vous entièrement recensé ?
EK : Des objets kanak, on en découvre toujours. On en a manipulé environ 17 000, mais en fait, il y en a bien plus. Nous n’avons pas inventorié certains musées, car ils ont un nombre d’objets trop réduits, comme celui de Copenhague, où il y a des objets du 18 siècle et dont on a récupéré les données.
Vous êtes le premier Kanak à avoir pris la tête du musée du quai Branly. Avez-vous accordé une place particulière au patrimoine kanak ?
EK : Peut-être pas au patrimoine kanak, mais à ce qu’il représente, c’est-à-dire une forme de sensibilité à la diversité culturelle du monde. Ici, c’est merveilleux. J’ai grandi dans une famille où on parlait différentes langues. Il y avait la langue de ma grand-mère, celle de mes tantes, etc. Et au marché de Nouméa, c’est le monde entier qui vient à vous. Cela montre que la culture peut s’exprimer selon de multiples modalités. On sort de l’idée « une culture, une langue, un pays ». Tout cela, ce sont des notions très nationales qui ont leur utilité. Mais du point de vue culturel, c’est plus fluide que cela. Sur le même territoire, il peut y avoir différentes cultures, issues de nations très différentes. D’ailleurs, l’un des intérêts de cet inventaire, c’est de montrer que l’identité est un processus sans arrêt changeant et qui réagit par rapport à des environnements. Ce que finalement Tjibaou avait compris en disant « notre identité est devant nous ». Cet inventaire montre qu’entre le 18e et le 20e siècle, les objets ont beaucoup évolué.
Revenir aux sources en Nouvelle-Calédonie, c’est important pour vous ?
EK : Oui. Et aussi que les gens soient interpellés par cette richesse extraordinaire. Parce qu’on a souvent l’impression que le patrimoine, c’est ce qui nous entoure. Mais le patrimoine, ce n’est pas quelque chose d’exclusif qu’on doit retenir. C’est quelque chose d’humain et qu’on peut partager. Pour moi, le patrimoine, c’est vraiment ce qui crée du lien et qui permet d’interroger notre propre relation au passé qui évolue d’ailleurs dans le temps. Beaucoup de ces objets, avant d’arriver dans des collections publiques, sont passés entre des mains privées. Les collections sont faites par des humains, ce n’est pas quelque chose d’automatique. Les objets sont sélectionnés par des individus et liés à une subjectivité très forte.
Le sujet de la restitution d’œuvres d’art volées ou spoliées pendant la colonisation fait aujourd’hui débats. Certains objets ont-ils été volés au patrimoine calédonien ?
EK : Dans notre travail, on a essayé de chercher si des objets avaient été pris. Il y a des doutes sur certains types d’objets. Mais ce ne sont pas forcément des sculptures merveilleuses. Ça peut être le énième casse-tête dont on a déjà 800 exemplaires ici à Nouméa. A quoi rimerait le 801e ? Donc c’est une question d’histoire, d’éthique et aussi d’intérêt. Les objets sont souvent donnés et non volés. Ainsi 60 % des objets acquis par le musée du quai Branly sont issus de dons. Les gens viennent dans l’idée que quelque chose va survivre à leur famille ou leur groupe au travers une collection qui, elle, va voyager dans le temps. Les collections du musée, ce sont des voyageurs du temps.
Propos recueillis par Béryl Ziegler