Accusé de s’en être pris à des gendarmes samedi soir à Païta, un père de famille, 33 ans, ivre au moment des faits, a été jugé mardi à Nouméa en comparution immédiate. Il a été condamné hier à sept mois de prison ferme, peine qui sera aménagée en un placement sous surveillance électronique à domicile.
Il y a quatre jours, l’auto-école a été réduite en cendres. Le feu s’est propagé à un magasin voisin, d’alimentation. Les pompiers sont intervenus aussi vite que possible, appuyés, pour leur sécurité, de gendarmes. Certains d’entre eux étaient sur la RT1 lorsqu’ils ont été appelés. Il était aux alentours de 18 h 30, samedi. Sur le trajet menant de la voie rapide jusqu’au village, les militaires ont, au passage d’un rond-point, été éclairés par la lampe torche d’un militant indépendantiste, puis insultés et caillassés. Ils ne se sont pas arrêtés : priorité donnée à l’incendie.
Une fois celui-ci maîtrisé, et un caillassage plus tard (cette fois sur le camp de base des gendarmes mobiles), des militaires se sont mis en quête de retrouver l’homme les ayant visés. Ils sont intervenus à pied, en deux groupes : l’un avançant droit vers l’individu ciblé (qui au départ s’est enfui et a tenté de rentrer dans une tribu, sans succès puisque des habitants l’ont mis dehors), l’autre approchant discrètement dans son dos. Ce sont deux gendarmes du second groupe qui ont mis la main sur le trentenaire, le ceinturant puis le plaquant au sol. L’homme interpellé s’est débattu, proférant de nombreuses insultes.
Avec deux grammes d’alcool par litre de sang (il dit avoir partagé trois litres de vin rouge avec quatre ou cinq personnes), il ne se souvient pas de tout, reconnaît les insultes (hormis celles à caractère raciste), admet avoir résisté mais rejette les accusations de violence. Il assure ne pas avoir donné de coups de pied. Autre élément nié : « Je n’ai pas lancé de cailloux ». Calme, poli (les « oui, madame » pour répondre à la présidente du tribunal, Sylvie Morin, ont été les bienvenus), il n’a pas perdu de points à la barre, il en a au contraire marqué : « Je ne peux pas les éclairer et lancer des cailloux en même temps », avance-t-il.
Bénéfice du doute
Nicolas Kerfindin, représentant le ministère public, lui accorde le bénéfice du doute sur le jet de pierres, les gendarmes ayant décrit l’individu de manière imprécise. Le tribunal suit le vice-procureur sur ce point, relaxant le prévenu.
Ce rond-point, il ne nie pas y avoir passé du temps samedi. Pas les cinq jours précédents, car il travaillait. Entreprise dans laquelle il se rend chaque jour à vélo, raconte-t-il. Permis annulé il y a neuf ans, pour conduite en état d’ivresse. Entre 2014 et 2020, il a été condamné quatre fois pour ces mêmes faits. Depuis, la justice n’avait plus entendu parler de lui.
Dans la nuit noire
Samedi, il s’est disputé avec sa compagne. Il est sorti, a rejoint ce giratoire. Il dit y être resté le reste de la journée. Sur place, « on ne se connaît pas forcément » mais on partage une ambition politique commune. « On est resté là, avec nos drapeaux. » A partir de 17 h 30, quand la nuit tombe brutalement, qu’on y voit plus rien à Païta puisqu’« il n’y a plus d’éclairage public », et encore plus à partir de 18 h quand commence le couvre-feu, le père de famille aurait dû être chez lui. Or, il est resté, avec cinq autres personnes, explique-t-il, sur le rond-point, avec donc une lampe torche (il affirme qu’il n’était pas le seul). Dans quel but ? Contrôler qui rentre dans le village, les habitants de Païta étant autorisés à passer, pas les autres, qui « n’ont rien à faire là ». Pour le jet de pierres, il assure que ce n’est pas lui et que cela peut être n’importe qui. Quant aux insultes, il s’en excuse, dit les regretter.
Après avoir délibéré durant une dizaine de minutes, le tribunal l’a condamné à sept mois de prison ferme (le ministère public avait requis cinq mois ferme et cinq mois avec sursis). Il sort de détention, sa peine étant aménagée en bracelet électronique.
Un sac à dos qui interroge
Lors de sa fuite, l’homme a fait tomber un sac, ramassé par les gendarmes. A l’intérieur : aluminium, soude caustique, eau, entonnoir… Assemblés, avec en plus un détonateur (un gros pétard a été retrouvé sur l’individu, et un autre chez lui), ces éléments permettent de fabriquer une petite bombe artisanale. Le prévenu s’est défendu : ce sac n’est pas à lui, il l’a trouvé et l’a gardé pour ne pas que des jeunes mal intentionnés s’en servent. Il se décrit comme un médiateur, autoproclamé. Pourquoi ne pas avoir donné ce sac aux gendarmes, ou l’avoir détruit, ou le déposer chez lui, non loin du rond-point, l’interroge la présidente. Il n’y a pas pensé, répond-il. Il avance qu’il avait pour projet de fabriquer et faire exploser l’engin dans son jardin, par curiosité. Le tribunal a eu un doute, le reconnaissant coupable mais en requalifiant les faits a minima : il avait ce matériel mais son intention de s’en servir contre les forces de l’ordre n’est pas caractérisée.
Trop-plein de prisonniers et d’émotions
Jugé mardi matin, le prévenu sortait de la première nuit de sa vie passée au Camp-Est, en détention provisoire. A cinq dans une cellule, alors qu’un primo-arrivant « devrait être seul », souligne la présidente. La maison d’arrêt de Nouméa est occupée à 220 %, précise le vice-procureur. C’est l’une des raisons pour laquelle il n’a pas requis d’incarcération. Un soulagement pour le principal concerné. « Si je repars là-bas, je perds mon travail, je perds mon appart aussi. » L’inquiétude, « c’est surtout pour mon fils » de 1 an. L’homme n’a pas pu retenir ses larmes, qu’il a tenté de sécher avec une manche de son t-shirt, noir, portant le nom et le logo, blancs, de l’entreprise (une société d’emballage, à Païta) pour laquelle il travaille depuis 2021. Celle qui partage sa vie depuis trois ans, présente à l’audience, assise au premier rang, emmitouflée dans une couverture dans cette grande salle d’audience climatisée et quasi déserte, a pleuré elle aussi.
Anthony Fillet