Il existe cinq types de conducteur : ceux qui ne l’ont jamais fait, ceux qui l’ont toujours fait, ceux qui ne le faisaient pas avant et ne le font toujours pas maintenant, ceux qui ne le faisaient pas par le passé et qui le font désormais, et enfin ceux qui le faisaient avant mais ne le font plus. Oublions d’entrée cette dernière catégorie, car on ne voit pas bien comment et pourquoi un cerveau fonctionnerait ainsi après les huit mois terribles que l’on vient de vivre.
Faut-il verrouiller son véhicule lorsque l’on conduit en Calédonie, a fortiori à Nouméa ? Jusqu’à il y a quelques semaines (et non quelques mois, car oui, on met du temps à comprendre), on faisait partie du premier type de conducteur. Après tout, ce pays était sans danger, tout du moins en avait-on la sensation. Depuis, sans qu’on le veuille consciencieusement, on a basculé dans la quatrième catégorie. On s’en est rendu compte samedi dernier, aux alentours de midi, au rond-point du collège de Tuband. Est-ce l’état de la chaussée (calcinée à plusieurs endroits) ? Ou est-ce par rapport à tout ce qu’il s’y est passé depuis le 13 mai ? Toujours est-il qu’on s’est surpris à, instinctivement, appuyer sur le bouton enclenchant le verrouillage centralisé lorsqu’on a traversé ce quartier « chaud ». Jamais, en neuf années passées ici, nous ne l’avions fait. Car la confiance dépassait nettement la peur. Parce qu’on n’avait pas encore croisé la haine. Parce qu’on s’était déjà fait insulter au prétexte de notre couleur de peau (jugée trop claire par certains), mais jamais encore caillassé, menacé. Parce que, tout simplement, la Cellule de coordination des actions de terrain n’existait pas. C’était il y a un an. On a l’impression d’une éternité.
Anthony Fillet