Trois mois après le déclenchement des émeutes, le général Nicolas Matthéos revient sur la situation sécuritaire du Grand Nouméa et de la Brousse, décrit les opérations judiciaires dans Saint-Louis pour arrêter des « voyous » pris d’une « folie meurtrière » et rend hommage aux 3 000 femmes et hommes sous ses ordres. Un entretien au long cours avec le commandant de la gendarmerie en Nouvelle-Calédonie.
La voix du Caillou : Au plus fort de la crise, les autorités avaient évoqué faire face à environ 10 000 émeutiers à Nouméa et dans le Grand-Nouméa. Est-il possible aujourd’hui de quantifier les émeutiers ?
Nicolas Matthéos : Je confirme, d’abord, ce chiffre évoqué à l’époque de 10 000 personnes au pic de la crise. Sur le Grand-Nouméa, nous nous sommes retrouvés face à 5 000 insurgés. Je n’emploie pas le terme d’émeutiers car je crois que les mots ont leur importance. Si je parle d’insurgés, c’est parce que ces jeunes étaient animés d’une radicalité absolument sidérante dans leur mode d’action. Aujourd’hui ? Ils sont nettement moins nombreux. Pour différentes raisons : certains ont compris que cette action de destruction et de chaos ne menait à rien, ils l’ont enfin compris ; d’autres, et ils sont nombreux, sont retournés dans les îles Loyauté, ce qui se traduit d’ailleurs par des faits de délinquance sur place ; enfin, troisième élément d’importance, c’est que nous avons pu procéder à plus de 1200 interpellations depuis maintenant trois mois. Cette action judiciaire est déterminante dans la situation que l’on rencontre aujourd’hui. Je relève que 275 armes ont été saisies. Il y a donc moins d’adversité. Néanmoins, je dois préciser que nous sommes très surpris, même décontenancés, par la rage qui anime toujours certains jeunes, notamment du Grand-Nouméa, qui profitent de la moindre occasion pour vouloir encore semer le chaos, brûler des bâtiments, remettre des barrages, agresser des gens, commettre des pillages. C’est une réalité. Il y a encore des noyaux durs à certains endroits du territoire.
LVDC : Quels sont ces « noyaux durs » ?
NM : Sans parler de la situation au Mont-Dore, je note que certains quartiers à Dumbéa sont encore marqués par une violence qui peut rapidement ressurgir. Je pense à Koutio, Auteuil, Apogoti et aux squats qui sont des foyers de délinquance. On observe encore des jeunes qui essayent régulièrement de bloquer la voie express. Dans le Grand-Nouméa, si la gendarmerie ne tenait pas étroitement le territoire jour et nuit, si les maires ne faisaient pas un immense travail et je veux les saluer et les remercier, je crois qu’il y aurait encore une frange de cette jeunesse insurgée qui passerait à l’action violemment sans trop savoir pourquoi ou en tout cas au nom d’une raison qui n’a plus rien de politique. Finalement, nous connaissions bien cette jeunesse puisque ce sont les mêmes à qui nous avions affaire précédemment et qui était impliquée dans des faits de délinquance, de trafics de stupéfiants, de cambriolages… Nous avons la certitude qu’ils attendent la moindre opportunité pour remettre des barrages. J’observe d’autres points difficiles notamment sur la Côte-Est et en particulier à Thio.
LVDC : Les services de renseignement avaient-ils prévu le 13 mai ? Aviez-vous des alertes, à l’époque, d’un embrasement généralisé ?
NM : C’est une question importante mais difficile. Je crois que tout le monde a été surpris, que personne ne pouvait prévoir cet embrasement général. Ce qui est sûr, c’est que le haut-commissaire, le procureur de la République, la police nationale et la gendarmerie s’inquiétaient de l’augmentation des tensions. Il faut dire aussi que nous avions constaté l’évolution inquiétante de cette jeunesse en totale perdition, déracinée, livrée à elle-même et qui échappe à tout contrôle social et coutumier. Ce sont des jeunes qui sont dans un état d’esprit de contestation de l’autorité et de décrochage scolaire depuis des années.
LVDC : Avec le recul de trois mois, considérez-vous qu’il s’agisse d’une révolte politique ou d’une révolte de la jeunesse ?
NM : Certainement les deux. En tout cas, nous avons été confrontés à une violence inouïe conduite par des jeunes enragés qui ont fait preuve d’une rage destructrice et d’une volonté de chaos que personne ne pouvait prévoir et imaginer.
LVDC : Considérez-vous que cette « jeunesse enragée » a été manipulée et que « cette rage destructrice » a nécessairement été commanditée et planifiée ?
NM : Ce sera à l’enquête judiciaire, pilotée par deux juges d’instruction, qui vise les commanditaires présumés de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT) qui permettra de l’affirmer ou pas. Ce que je peux dire, c’est que depuis que la CCAT a été décapitée, nous avons constaté sur le terrain que les actions ont perdu de leur coordination et de leur simultanéité.
LVDC : Savez-vous combien de carcasses de véhicules ont été déblayées par les gendarmes?
NM : Je vous donne un chiffre marquant : à Saint-Louis, 400 véhicules ont été déblayés sur une portion de la RP1 de moins de cinq kilomètres. Il y avait une densité exceptionnelle de carcasses pour entraver la route.
LVDC : Pourquoi la Brousse a été davantage épargnée que Nouméa et le Grand-Nouméa ?
NM : Je pense qu’en Brousse, on retrouve moins cette jeunesse perdue que j’évoquais tout à l’heure. Ça vient aussi du fait que les gens ont connu la période des Événements et qu’ils n’ont pas eu envie de les revivre. Dans les moments de tension que nous avons traversé depuis mai, les gens de Brousse ont su se parler et trouver des voies pour garder la paix. Je dois aussi souligner l’action des gendarmes en brousse, notamment à Ouégoa ou encore à Kaala-Gomen, qui a permis d’éviter l’embrasement à certains moments.
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Propos recueillis par Jean-Alexis Gallien-Lamarche