Jack Angaräa, le rebelle qui s’est fait calmer 

Une vidéo, pour le moins dérangeante, a été diffusée la nuit dernière par l’UC FLNKS. On y voit un homme, jusque-là critique de l’action de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), rétropédaler. Contraint et forcé ?

Voix tremblante, mains dans les poches, corps se balançant d’avant en arrière, dos à un mur sur lequel bouge l’ombre de ses dreadlocks, dans une pièce sombre, d’un lieu inconnu : la vidéo publiée dans la nuit de lundi à mardi sur la page Facebook de l’UC FLNKS, interroge. Pire, elle inquiète. Associée à cette publication, on peut y lire le message de présentation suivant : « Après plusieurs vidéos dénigrant nos responsables, notre ami Jack Angaräa est devenu lucide… Il n’est jamais trop tard. L’unité est primordiale dans le contexte actuel ! »

Des excuses répétées

La vidéo dure une minute et trente-sept secondes. L’homme regarde souvent vers le sol, parfois sur les côtés, comme s’il semblait se méfier. Il dit s’adresser « un peu à la CCAT », aux « responsables » qui en sont à la tête, certainement aussi plus largement aux dirigeants indépendantistes dans leur ensemble. Il s’excuse cinq fois, demande pardon à deux reprises, utilise trois fois le mot famille et autant de fois celui d’unité. « Je dois m’excuser parce que, voilà, vous êtes ma famille aussi, ici, on est tous du même pays. J’appelle à l’unité, j’appelle à un combat équilibré (…) Je demande pardon d’avoir eu des propos déplacés par rapport à vous, je reconnais le combat par rapport à la liberté de notre peuple, de la justice et la vérité, explique-t-il. Prenez soin de vous, faites attention à l’État, il n’est pas gentil avec nous, il ne veut pas du bien de nous, peuple Kanak. »

Peu convaincant… car pas convaincu

L’impression donnée est que cet homme qui parle, d’une quarantaine d’années, n’est pas libre de ses propos face à la personne qui le filme. Il est peu convaincant… car pas convaincu. Cet homme, Jack Angaräa selon son profil Facebook, a publié plusieurs vidéos dans les jours précédents et le contenu ne ressemblait pas à celui-ci. Dans ces vidéos, nettement plus longues, il était seul, se filmait lui-même, parfois dans la rue en journée, et donnait son point de vue sur la situation. Il n’épargnait personne comme dans cette vidéo où il critique d’abord l’Etat français : « Faut plus que Macron ne mette les pieds ici comme si c’était un pays conquis. Tout ce qui se passe, l’Etat français, il en est content, les politiques, ils en sont contents. Nous, on est en train de pleurer nos frères. Ici, la France veut défendre ses intérêts, quitte à sacrifier des vies. » Il en vient ensuite à s’en prendre aux responsables politiques non-indépendantistes : « Blaise, Backes, cassez-vous du pays. Arrêtez de déshonorer notre pays. » Vidéo que la CCAT n’a pas dû regarder, si on s’en réfère à son communiqué publié hier, où elle critique vivement « les calomnies, diffamations, raccourcis dangereux, et menaces de mort diffusés » par Jack Angaräa « bien connu pour ses pratiques récupératrices et orientés (…) ce qui sort de sa bouche, ce sont les mêmes éléments de langage utilisés par Philippe Blaise, Sonia Backes, et son ami Nicolas… »

« Maintenant, tu as du sang sur les mains »

Dans le même communiqué, étrangement sorti quelques heures avant la publication de la vidéo, la CCAT assure n’avoir « jamais perdu le lien avec le terrain et le cœur de la CCAT ne les a jamais quittés. (…) Ils ont compris que plus que jamais, nous devons nous montrer unis. » Le guerrier de la paix, comme il est maintenant appelé sur les réseaux sociaux, ne le voit pas du même œil. Pour lui, « le FLNKS nous a trahis. Tous les élus sont des menteurs. J’ai honte de vous, ce n’est pas comme ça le combat. »

Christian Tein, leader de la CCAT, en prend particulièrement pour son grade : « La CCAT Bichou Tein, faut que tu arrêtes de monter la tête de nos jeunes. Regarde, maintenant, tu as du sang sur les mains. J’espère que vous allez bien dormir avec tous les jeunes qui sont morts. Ils viennent aux marches parce que c’est leur cœur, c’est leur pays. Ils font confiance aux vieux dans les bureaux, aux grands frères, ils marchent avec leur cœur. » Dans l’une de ses vidéos publiées au cours de ces derniers jours, il raconte avoir été le témoin d’une scène à Kaméré : quatre picks up seraient entrés dans le quartier, avec dans les véhicules au moins un dirigeant de la CCAT, de la famille Tein. Il raconte que lorsqu’ils en sont repartis, des jeunes se sont activés, disposant des bouteilles de gaz. Selon Jack Angaräa, c’est ici la preuve que les jeunes émeutiers sont dirigés directement par des éléments de la CCAT.

Sur un live Facebook, il en vient même à des menaces plus directes : « C’est toi qui as allumé le feu Tein, va sur le terrain, va éteindre le feu. Si je te trouve, c’est moi qui vais t’éteindre, fais attention à toi. » Finalement, l’ont-ils trouvé ? Si oui, la discussion n’a pas forcément été le mot d’ordre, comme il pouvait pourtant l’espérer lors de cette prise de parole : « Le Sénat coutumier, le FLNKS, venez, on va s’asseoir, on va régler nos trucs entre Kanak déjà avant de parler de l’Etat français. »

Discussion avec les jeunes des Tours

Quelques heures avant la dernière vidéo où là, il semble forcé, l’homme, clairvoyant dans ses propos et personnage étonnant, quasi christique, est passé dans le quartier des Tours de Magenta. Lundi 20 mai, dans la journée, il a ainsi parlé à des jeunes, qui ont filmé une partie de la scène. Jack Angaräa leur a expliqué qu’il fallait arrêter les affrontements avec les forces de l’ordre, que ces jeunes étaient manipulés par la CCAT. Il a été entendu. Les drapeaux blancs ont alors fleuri dans le quartier, peu à peu nettoyé par des habitants.

On se disait alors qu’il allait pouvoir aller prêcher la bonne parole dans les quartiers chauds de la ville, comme à la Vallée-du-Tir, à Montravel ou à Rivière-Salée. Malheureusement, son parcours avec son bâton de pèlerin semble s’être arrêté aux Tours de Magenta, avant, dans la soirée, cette vidéo dérangeante publiée par l’UC FLNKS. On ne peut que se demander pourquoi et comment a-t-il changé d’avis ? Ou plutôt, que lui a-t-on fait, que lui a-t-on dit, pour qu’il le fasse ? Dans un commentaire, sous la publication, il explique, répondant à un internaute disant qu’il a été forcé de parler ainsi face à cette caméra, que c’est de son « plein gré ». On a du mal à le croire.

Plus tard, dans la journée d’hier (mardi), Jack Angaräa a publié une nouvelle vidéo, cette fois sur sa page Facebook : il y rappelle que la vidéo de la veille a été faite de son plein gré (à l’attention des membres de sa famille qui sont dans la CCAT), et réitère ses critiques contre plusieurs dirigeants de la CCAT et plus largement du mouvement indépendantiste. Il n’épargne pas non plus l’autre bord de la classe politique. Sa parole serait donc désormais à nouveau libre ?

Anthony Fillet et Eloi Coupry

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