Rencontre avec … Frédéric Colombo

Comment définiriez-vous le GIR ?

Frédéric Colombo : Le groupe interministériel de recherches (GIR), est une force de frappe pour lutter contre l’économie souterraine et la délinquance lucrative organisée. Son spectre d’action est large, mais il est principalement lié, sur le territoire calédonien, à la lutte contre les infractions à la législation sur  stupéfiants, toutes les formes d’escroqueries ainsi que les fraudes fiscales et sociales. Chaque GIR a ses particularités. Contrairement à d’autres endroits, nous nous intéressons de près aux activités illégales effectuées sous couvert des nakamals ou encore les jeux clandestins. Nous sommes un service à part entière mais notre particularité, c’est que nous travaillons systématiquement en cosaisine avec les services de la gendarmerie ou de la police nationale. Lorsque la Section de recherche va, par exemple, s’attacher à matérialiser les infractions et à démontrer un produit d’infraction, le rôle du GIR est d’apporter une plus-value en identifiant et en recensant l’environnement patrimonial de l’auteur dans le but de saisir ses biens acquis illégalement à hauteur du produit de l’infraction. La détection du patrimoine des personnes morales et physiques ciblées dans une affaire judiciaire est donc notre objectif central.

On parle alors d’avoir criminels…

FC : Effectivement, il s’agit de priver les marchés criminels des ressources qu’elles tirent de leurs activités illégales. Comment faire ? En ayant recours au protocole des avoirs criminels. C’est l’arme dissuasive du GIR. Car ce patrimoine illégal peut aussi bien servir à la commission de nouveaux faits délictueux ou bien même dissimulé à l’étranger, notamment avec la proximité des paradis fiscaux dans la région comme au Vanuatu. Vous savez, certains délinquants n’ont pas peur d’être condamnés à de lourdes peines de prison qui pourraient être infligées par un tribunal. En revanche, ils ont davantage de mal à accepter la confiscation de leurs biens. C’est parfois plus dissuasif que de partir au Camp-Est. Lorsque nous arrivons à établir que les biens (véhicule, bateaux, immeuble, compte bancaire, assurance-vie…) ont été financés par de l’argent illégal, nous pouvons en demander la saisie.

D’où l’expression populaire « frapper au porte-monnaie »…

FC : Le crime ne doit pas payer. La confiscation de ce patrimoine illégal est perçue comme une peine principale. Preuve en est, nous constatons que les délinquants n’hésitent pas à faire des procédures et des recours pour demander la restitution de leurs biens saisis dans le cadre de l’enquête. En fin de compte, la confiscation des avoirs criminels porte un coup plus dur aux malfaiteurs que des années derrière les barreaux.

Quel est le montant des avoirs criminels saisis par le GIR de Nouméa en 2023 ?

FC : Depuis la création du groupe interministériel de recherches à Nouméa, près de 2,5 milliards de francs ont été saisis. Et depuis trois ans, nous voyons bien que le bilan des avoirs criminels ne cesse d’augmenter. En 2021, le GIR a confisqué pour 310 millions de francs, puis 370 millions de francs l’année suivante et en 2023, nous dépassons largement le précédent record en dépassant les 535 millions de francs. Cela représente plusieurs biens immobiliers, des comptes courants, des assurances vie, des véhicules, des bijoux, de la maroquinerie de luxe…

Comment expliquer cette montée en puissance ?

FC : Il y a une véritable volonté de mettre un terme à l’impunité financière. Nous considérons que cette augmentation est notamment le fait de dossiers importants liés à la problématique des « chèques cassés ». Plusieurs enquêtes ont été bouclées et de nombreux avoirs criminels ont été saisis parmi les auteurs de cette infraction. Il est évident qu’au cours de nos investigations sur ces dossiers-là, nous avons mis en lumière des flux d’argent énormes générés par ces commerçants qui pratiquent un blanchiment d’argent sans limite.

Quelles sont les infractions les plus courantes ?

FC : Les trafics de stupéfiants, les salles de jeux illicites (bingo et poker), le travail dissimulé ou encore des détournements de fonds publics qui impliquent des fonctionnaires ou des élus, sans compter les infractions de fraude fiscale et de blanchiment ou encore des abus de biens sociaux et de confiance, notamment dans le milieu associatif. Pour mener nos investigations, nous travaillons sur l’environnement des suspects en mettant le focus sur son relationnel et son train de vie. Pour réussir, nous utilisons les méthodes classiques des autres services d’enquêtes : filatures, « sous-marins », surveillances discrètes, balises… Nous obtenons aussi, via des réquisitions judiciaires, des informations auprès des banques de la place.

Quel est votre constat sur la fuite des capitaux pour échapper aux services fiscaux?

FC : Nous l’observons au travers de nombreux dossiers mais il nous est difficile de la quantifier. Nous savons qu’elle est importante. Nous avons réussi à identifier des flux financiers au départ de la Nouvelle-Calédonie et à destination de certains voisins comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande ou le Vanuatu qui est un paradis fiscal et avec lequel le territoire n’a pas de convention fiscale. Nous savons bien qu’il y a aussi des transferts d’argent en Asie avec des personnes qui cherchent à placer leur argent notamment dans l’immobilier sans le faire savoir aux services fiscaux de la Calédonie. Les Etats-Unis sont aussi un endroit privilégié par certains élus ou chefs d’entreprise. Nous nous sommes rendus compte qu’il y avait de plus en plus d’investissements aux USA. Mais nous pouvons parfois être confrontés à des difficultés pour retracer ces flux financiers, identifier les comptes bancaires et les biens immobiliers dans certains pays qui nous entourent. Il reste encore beaucoup de travail sur ce point.

La particularité du GIR, c’est aussi que policiers et gendarmes travaillent main dans la main…

FC : Vous avez raison et c’est aussi notre force. Le GIR de Nouméa est composé de trois militaires de la gendarmerie et de trois membres de la police nationale (ce sont tous des officiers de police judiciaire). Je ne fais jamais de distinction entre eux. Ce à quoi il faut ajouter, depuis seulement l’an dernier, des agents non-permanents de la douane, de la Direction des services fiscaux (DSF) et de la Cafat qui peuvent nous aider ponctuellement en fonction des dossiers que nous traitons. Ces agents non-permanents nous apportent beaucoup puisqu’ils détiennent des bases d’informations qui peuvent nous être utiles lorsque nous essayons de retracer le patrimoine des suspects. Nous avons des échanges directs avec ces services et c’est une grande nouvelle car cela apporte un gain de temps énorme.

Propos recueillis par Jean-Alexis Gallien-Lamarche

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