La présidente de la province Sud ne s’était plus exprimée depuis longtemps. Pour La voix du Caillou, sans langue de bois ni faux-fuyants, Sonia Backès livre son analyse de la situation.
Il y a donc eu les sénatoriales pour lesquelles vous étiez candidate. Aujourd’hui ressentez-vous des amertumes, des regrets, des tristesses ?
Sonia Backès : Quand on perd une élection sur son nom, ça secoue. Ça demande une réflexion, c’est pour cela que je ne me suis pas exprimée depuis longtemps. Parce qu’à l’issue de ces sénatoriales, je voulais d’abord avoir une discussion avec le président de la République pour savoir si cela remettait en cause la ligne politique qu’il a décidé, et ensuite pour retourner au contact des Calédoniens. Je voulais savoir ce qu’ils pensaient et ressentaient. Une défaite sur son nom propre doit remettre en cause, parce que lorsque l’on part dans une élection on ne s’attend pas à perdre. Donc oui, ça a été un moment difficile. Ça a aussi été un moment difficile pour ma vision de la Nouvelle-Calédonie. Prendre conscience que certains étaient capables pour une ambition personnelle ou pour des règlements de compte de franchir la ligne rouge, de voter pour un indépendantiste, ça m’a profondément choquée, et inquiétée.
Cette défaite vous a contraint à la démission du gouvernement au sein duquel pendant plus d’un an vous avez été secrétaire d’État à la Citoyenneté, quelle expérience en avez-vous tirée ?
SB : Une expérience extraordinaire. D’abord j’en ai été très fière pour la Calédonie. Le signal donné par le président de la République de nommer une Calédonienne au gouvernement, après que l’on ait décidé par trois fois de rester Français, était très fort pour la Calédonie. Et je suis aussi fière de ce que j’ai pu mener comme actions. De manière pas forcement visible, j’ai beaucoup œuvré pour la Calédonie avec l’aide de ceux qui sont devenus mes amis : Gérald Darmanin, Sébastien Lecornu, Bruno Le Maire mais aussi en expliquant la Calédonie à ceux qui la connaissaient moins: des ministres comme Éric Dupont-Moretti qui annoncera dans les prochains jours la construction d’une nouvelle prison qui mettra plusieurs milliards dans l’économie calédonienne et nous permettra de condamner de manière juste les délinquants. J’ai également créé des réseaux avec les parlementaires que je rencontrais toutes les semaines lors des séances de questions au gouvernement. Ces liens très forts seront très utiles pour la Nouvelle-Calédonie. Et puis, c’était aussi une expérience de représentation de la France à l’international. Lorsque devant moi il y avait l’écriteau « France », c’était la Nouvelle-Calédonie que je représentais aussi. J’ai un médaillon autour du cou, représentant la Calédonie et offert par mes enfants, et c’était donc la Calédonie qui était là pour représenter la France dans les instances internationales dans lesquelles j’ai siégé. Cette expérience au gouvernement était impressionnante, importante et j’en conserve une connaissance profonde du fonctionnement de l’État, et ça je suis convaincue que c’est utile pour la Calédonie.
Vous étiez secrétaire d’État à la Citoyenneté. Aujourd’hui à cause du Moyen-Orient, cette citoyenneté est mise à mal par les centaines d’actes antisémites qui se produisent en France. La Calédonie est épargnée par cette haine, toutefois certains syndicats comme l’USTKE ou partis politiques comme l’UC, ont pris fait et cause pour le Hamas, quel sentiment cela vous inspire-t-il ?
SB : Ce n’est pas une simple crise qui a lieu en France, c’est extrêmement grave, c’est un combat de civilisation. Les islamistes radicaux combattent ce que nous représentons : la liberté, l’égalité, la fraternité, la laïcité, la civilisation occidentale. C’est presqu’une guerre de civilisation. Mais pendant trop longtemps, la France a été naïve. On a cru dans l’intégration. Mais l’ampleur de l’immigration ne permettait pas cette intégration. Quand on accueille trop, on intègre moins. La France s’est laissée embarquée par l’Europe, la bien-pensance et paye aujourd’hui l’addition. Gérald Darmanin porte une loi immigration qui va quand même permettre de renvoyer chez eux ceux qui polluent la France avec leurs thèses antisémites, mais ça va être dur car nous avons été trop loin. J’ai porté un certain nombre de sujets sur la prévention de la radicalisation et de la citoyenneté. Avant que Gabriel Attal ne les interdise, j’ai dit qu’il fallait sortir les abayas de l’école et qu’il fallait mettre la tenue commune à l’école, ce qui aujourd’hui arrive. C’est avoir tort que d’avoir raison trop tôt et je n’étais que secrétaire d’État, mais j’ai porté cela auprès du président de la République et cela a fait son chemin. J’espère en effet que cela ne touchera pas la Nouvelle-Calédonie, mais lire un communiqué de Pierre-Chanel Tutugoro soutenant l’action du Hamas, ça fait froid dans le dos. Cela doit nous conduire à ne pas être naïfs parce que de la même manière qu’il y a ce combat de civilisation en métropole, en Europe et dans le monde occidental, on a en Nouvelle-Calédonie une partie des indépendantistes extrémistes, je pose le terme, qui combat ce que nous sommes ! La liberté, l’égalité, la fraternité, le fait de ne pas être dans un système féodal, que nous valorisions le mérite, le travail, c’est ça la civilisation occidentale, et qui est combattu par une partie des indépendantistes.
Vous disiez rencontrer les Calédoniens, concernant l’avenir institutionnel, les trouvez-vous désabusés ?
SB : J’en ai vu certains particulièrement désespérés. Très très inquiets. Sans perspectives. J’ai vu beaucoup de Calédoniens depuis que je suis revenue. Ils m’ont confiée leur sentiment d’être dans un tunnel depuis trop longtemps, et qu’à chaque fois qu’après un virage ils s’attendent à voir enfin la lumière, ils trouvaient de nouvelles heures sombres et un piétinement qui leur ont fait perdre l’espoir de voir le bout du tunnel. C’est pour cela que nous enregistrons autant de départs. Et là non plus, il ne faut pas être naïfs. Une naïveté dont fait preuve une partie de la classe politique non-indépendantiste. Il faut savoir qu’il y a des indépendantistes, en particulier à l’UC, qui veulent faire partir les non-indépendantistes pour rapidement faire un référendum et avoir la majorité. C’est ça la réalité. Vous savez, j’ai rencontré Georges Naturel il y a quelques jours. Je souhaitais m’assurer qu’il ne serait pas dans la même vision que celle de Philippe Gomès, qui nous a mené dans le mur, cette vision naïve et dangereuse selon laquelle si on est gentil avec les indépendantistes, ils seront gentils avec nous. Non ! Comment avons-nous réussi à maintenir le 3e référendum ? En étant ferme. Comment avons-nous réussi à régler la problématique de l’usine du Sud ? En étant ferme. Ce n’est pas parce que l’on se montre ferme que l’on va aller au conflit. Les Calédoniens par trois fois ont choisi de rester Français, ce n’est pas pour lire dans le communiqué commun de l’UC et de Calédonie Ensemble qu’il faut « poursuivre la trajectoire d’émancipation du pays ». Les Calédoniens n’ont pas choisi de continuer vers l’indépendance, ils ont choisi de rester Français. Je le redis, cette naïveté est mortifère. Vous savez, les Calédoniens ont envie du vivre ensemble. Au quotidien, les Calédoniens n’ont pas envie de se battre entre eux en permanence. Mais au final, ce que portent l’Union Calédonienne et ses éléments les plus extrêmes, ne correspond pas à ce que les Calédoniens attendent. Les Calédoniens ne veulent plus du clivage entre les kanak et les autres, ils n’en veulent plus. Ils ne veulent plus de référendum binaire. Cette période est terminée.
Le calendrier est-il tenable ?
SB : Il est non seulement tenable, mais obligatoire. Il a été confirmé par le président de la République lors de la réunion des élus de l’Outremer, il a répété que la réforme constitutionnelle ne concernerait que la Nouvelle-Calédonie et dans des délais réaffirmés. D’abord parce que le Conseil Constitutionnel ne validera pas le report des provinciales au-delà de quelques mois. La réforme constitutionnelle sera donc adoptée en mars 2024 et le président de la République a réaffirmé sa ligne sur la Nouvelle-Calédonie, il l’a fait dans le communiqué publié par l’Élysée pour acter ma démission du gouvernement. Cette ligne concrètement, c’est de chercher à trouver un accord mais pas au prix de laisser une épée de Damoclès comme celle qu’on a vécue, à nos enfants. On a des gens comme l’UNI, (le Palika et l’UPM) qui sont constructifs, qui parlent avec nous, nous aurons la semaine prochaine des réunions avec eux. On sait que l’on avance sur le corps électoral, sur l’organisation interne de la Calédonie, on sait qu’un accord est possible là-dessus. Mais de toute façon, accord ou pas, il y aura une réforme constitutionnelle et c’est ça la lumière au bout du tunnel. C’est de dire que même si cet accord doit se faire en deux temps, d’abord sur le corps électoral puis après les provinciales de revenir sur l’organisation institutionnelle, ça n’est pas grave. Bien sûr le dégel du corps électoral est essentiel, mais cette réforme constitutionnelle va aussi, et c’est fondamental, figer la place de la Nouvelle-Calédonie dans l’ensemble français. Et une fois que cela sera fait, alors nous pourrons vivre en paix.
Vous savez, nous, non-indépendantistes, nous avons souvent l’impression de ne pas avancer, voire de reculer, mais si Daniel Goa, dans ses discours écrits par Mathias Chauchat, est si dur, c’est parce qu’il n’arrive pas à ses fins : les indépendantistes voulaient qu’il n’y ait pas de 3eme référendum, il y en a eu un, ils voulaient casser les résultats de ce référendum, ils ont échoué, ils ont été validés, ils voulaient le maintien du gel du corps électoral, et Il y aura un dégel. Notre résistance fonctionne. Elle est dure, elle est longue mais les indépendantistes n’obtiennent pas leur trajectoire vers l’indépendance. Leur radicalité a une raison, c’est qu’il n’y aura pas d’indépendance et qu’ils n’osent pas l’avouer à leur base. Il va donc falloir considérer que l’on a une partie extrême des indépendantistes qui ne veut pas avancer, mais qu’il y a une majorité de la population que l’UNI écoute d’ailleurs, qui ne veut pas de ça. Les discussions que nous aurons avec cette partie des indépendantistes, c’est aussi le signal que l’on ne veut plus de ça.
Loyalistes et Rassemblement, vous avez donné votre vision de l’avenir, vous avez fait des propositions que vous avez présentées en conférence de presse. Mais c’est quoi ? C’est votre projet ? C’est négociable ou ça ne l’est pas ?
SB: Il faut d’abord préciser ce qu’est notre état d’esprit sur ces négociations. Il y a deux grands axes à notre philosophie. D’abord, nous avons vécu la période coloniale, puis une période de rééquilibrage ethnique, politique, économique, géographique au cours de laquelle beaucoup de choses ont été faites avec une discrimination positive pour les kanak. Nous avons construit le rattrapage, le rééquilibrage. Nous considérons dès lors que les prochaines décennies doivent être placées sous le signe de l’union d’un peuple calédonien qui n’est plus défini par l’ethnie, même si nous avons tous des modes de vie différentes. Il faut le reconnaitre et l’accepter, mais la Calédonie doit se construire sur la base du fait que nous avons tous, les mêmes droits et les mêmes devoirs. La Calédonie se construit avec tout le monde et avec ses différences, mais personne ne compte plus que l’autre, ou qui serait plus chez lui que l’autre. Nous sommes chez nous. Tous. C’est fondamental dans ce que nous portons. Le second axe de notre philosophie, c’est que nous ne voulons plus diviser la population entre indépendance et pas indépendance. On a pollué notre vie, nous l’avons pourri pendant 35 ans avec ces référendums, je ne laisserai pas en héritage à mes enfants, aux enfants calédoniens de devoir vivre ce que nous avons vécu. Il n’y aura plus de référendum binaire, et ça, ça irrigue notre projet. Le statut futur de la Calédonie doit se faire sur une base consensuelle. Nous le traduisons en disant qu’il faut se laisser deux générations qui pourront se reconstruire sans s’opposer, et en disant qu’il n’y aura un nouveau référendum que si la population le demande majoritairement. Et non pas sur la base d’un projet indépendance ou non, mais sur un projet partagé par 4/5ème du Congrès. On ne laissera pas à nos enfants un héritage d’incertitude et de peurs.
Le consensus, ça réclame de l’unité. Comment créer l’unité chez les non-indépendantistes ?
SB : C’est essentiel et nous y consacrons beaucoup de temps avec Nicolas Metzdorf, Gil Brial, Alcide Ponga, Virginie Ruffenach, Pascal Vittori, Willy Gatuhau. Et tous les partis loyalistes ont déposé des propositions de modification de manière unie, à l’exception de Calédonie Ensemble, avec qui nous avons des différences fondamentales. Autour de la table où il n’y a que Philippe Gomès pour Calédonie Ensemble qui parle, parce que Philippe Dunoyer se tait, il ne défend jamais la position des non-indépendantistes. Il se positionne en conciliateur qui n’est pas non-indépendantiste, mais qui est au milieu. « Un conciliateur, disait Churchill, c’est quelqu’un qui nourrit un crocodile en espérant être le dernier à être mangé », et bien il nourrit les indépendantistes, et en étant bien avec eux, il espère peut-être reprendre le pouvoir ou conclure un accord majoritaire avec eux, comme il l’a fait aux sénatoriales.
D’un point de vue politique, vous avez trouvé les Calédoniens désespérés disiez-vous, mais c’est encore pire concernant l’avenir économique. Sur ce point, où est la lumière ?
SB : Je l’ai dit, la fin du tunnel politique arrive. Sans faire preuve d’un optimisme béat, on n’a jamais été aussi près de la sortie du tunnel. La fin du tunnel économique est liée à celle du tunnel politique. Ça va mal parce qu’il n’y a plus de confiance. Dès l’instant où l’on aura réglé la situation politique, l’économie suivra. Mais vous savez, j’ai été marquée par le fait qu’une grande partie des Calédoniens en ont assez du fait que l’on aide toujours les mêmes. Je suis désolé de faire part d’un fait publiquement, mais, avec l’appui de Nicolas Metzdorf, on a bénéficié de la solidarité nationale de lutte contre la vie chère et nous avons distribué des cartes alimentaires aux plus fragiles. Mais certains de ceux qui en ont bénéficié nous ont dit que ça n’était pas encore assez et certains nous ont même confié travailler au noir pour ne pas dépasser les plafonds de l’Aide Médicale. Ça m’a profondément choquée. Pour ceux-là, les aides sont un dû. De même que le fait de savoir, alors que nous avons distribué des billets d’avion pour les étudiants boursiers partant en métropole, qu’il y a des Calédoniens qui n’ont pas les moyens de faire revenir leurs enfants et qui ne les voient pas pendant 2, 3, 4 ans. Et ces Calédoniens ne sont pas à l’Aide Médicale, ils n’ont pas l’aide au logement, les bourses, ils n’ont rien. Ils n’ont même plus les moyens d’inscrire leurs enfants dans les Centres de vacances qui n’accueillent plus que les enfants de ceux inscrits à l’Aide Médicale où de ceux qui peuvent financer les vacances de leurs enfants dans ces centres. Alors nous avons décidé de les aider, ces gens que l’on appelle les classes moyennes, et que l’on a abandonnés. Et nous, la province Sud, ferons de même avec les petites entreprises en les aidant à retrouver de la trésorerie, et à passer cette période difficile.